Dans le smartphone de Kimia, 16 ans, lycéenne à Téhéran.
Aujourd'hui je vous propose de fouiller dans le téléphone d'une adolescente. Ne vous inquiétez pas, elle est d'accord. En fait, elle VEUT que vous regardiez.
Kimia a 16 ans, c'est une élève plutôt sérieuse et brillante d'un bon lycée de Téhéran.
Elle répond, depuis le début, à presque toutes les "invitations", à manifester, avec plusieurs de ses camarades.
Inspirées par les victimes de la répression, lycéennes comme elles et devenues des icônes révolutionnaires, elles témoignent d'une profonde admiration pour elles, en particulier Nika (Shakarami) et Sarina (Esmailzadeh) avec la passion caractéristique de leur âge.
En fait, elles leurs ressemblent même physiquement, et, ces quatre derniers mois, même leur style vestimentaire a évolué en conséquence.
De son propre aveu, Kimia à d'abord manifesté en cachette de sa famille, mais elle en a très rapidement parlé à sa mère et assure qu'un compromis a été trouvé (je n'ai pas parlé à la maman) :
Kimia se rend avec ses amies au point de rendez-vous, et sa mère "fait les courses" dans le même quartier, prête à venir les chercher en voiture si elles en ont besoin.
Les messages que Kimia a dans son smartphone, je les vois circuler depuis longtemps sur les comptes Twitter de jeunes adultes. Kimia, elle, les a regroupés dans un album de screenshots, pour la plupart issus de plateformes de jeux en ligne dont les jeunes se servent à présent pour communiquer. Ou sur Whatsapp quand ça fonctionne.
J'ai choisi de vous les montrer, sans corrections, mise en page ni fioritures, pour vous proposer un aperçu direct de la réalité du quotidien de notre jeunesse.
Et j'ai choisi de le faire aujourd'hui, parce qu'après plusieurs semaines d'un calme relatif, et malgré les blocages d'internet qui ont beaucoup freiné la diffusion des invitations, les "jeunes des quartiers de Téhéran" et d'autres villes d'Iran, ont à nouveau lancé un appel à manifester aujourd'hui.
Pendant que je tape ces lignes, Kimia et ses amies préparent leur petit sac à dos et s'apprêtent à descendre dans la rue pour faire entendre leur voix, et donner corps à leurs revendications.
Dans le téléphone de Kimia, qu'elle laissera sur son bureau avant de partir, quelques conseils dérisoires que les jeunes iraniens font circuler, inlassablement, comme des talismans contre la peur. Les voici :
Attention les gars. Les bombes de gaz lacrymogènes sont chaudes, ne les ramassez pas à mains nues.
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Emportez un petit sac, avec une tenue de rechange, des bouteilles d'eau, un briquet, idéalement des cigarettes aussi, pour justifier le briquet, en cas de fouille.
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Un parapluie vous sera utile, contre la peinture et pour vous protéger des photos et vidéos.
Repérez et évitez les policiers armés de fusil de paintball. Ils utilisent la peinture pour vous marquer et vous arrêter plus facilement ensuite.
Si vous êtes marqués, trouvez un coin tranquille pour changer de vêtements mais allez y à plusieurs.
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N'emportez pas votre téléphone. Si vous l'emportez, déconnectez vous entièrement de tous vos comptes et personnels et mettez vous en mode avion. Si vous disposez de raccourcis SOS, activez les.
Prévenez au moins une personne de votre participation, pour qu'on vous cherche rapidement si vous ne revenez pas.
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Quand la police attaque, évitez autant que possible de vous enfuir en courant. Tant que vous n'êtes pas ciblé, éloignez vous en marchant d'un pas égal, comme si vous étiez juste un passant.
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Ne portez pas de couleurs vives trop facilement identifiables.
Cachez les tatouages et cicatrices
Retirez les piercings visibles (ils vous rendent plus identifiable, et en plus vous pouvez être blessés si la police les arrache en vous interpellant)
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Si vous êtes ciblé, jetez votre téléphone loin de vous après avoir activé le SOS, et criez aussi fort que possible pour attirer l'attention des autres.
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Ne sortez pas le ventre plein, vous devez pouvoir courir, mais emportez du sucre ou un peu de chocolat en cas de coup de mou.
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Si vous portez des lentilles de contact, retirez les, les gaz lacrymogènes à bout portant peuvent vous rendre aveugle.
Si vous avez été opéré des yeux, je vous en prie, abstenez vous de sortir (ndlt:pour manifester). Votre santé est importante et le risque est trop élevé. Vous pouvez participer autrement.
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N'emportez ni carte d'identité, ni permis de conduire, ni aucun document permettant de vous identifier.
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Ne portez pas de lunettes, vous serez blessé au visage si vous tombez. Pas de lunettes de soleil non plus.
Un foulard, bandana, passe-montagne, masque anti-covid peuvent aider à dissimuler votre visage.
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Évitez de parler avec les forces de l'ordre, même dans un moment de calme, si vous le faites, ce sera plus facile pour eux de se souvenir de vous/vous reconnaître au moment où ils attaqueront.
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Assurez vous de ne pas vous diriger vers des lieux fermés où vous pourriez vous trouver encerclés.
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Emportez un coupe ongles, ou quelque chose de coupant mais discret (pas un couteau) pour vous libérer des liens en plastique qu'ils utilisent comme menottes. Si vous parvenez à conserver un briquet, cela fonctionne aussi.
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Si vous voyez quelqu'un se faire embarquer, regroupez vous avec d'autres, et portez lui secours.
Et quoiqu'il arrive, je vous en supplie, ne sortez pas seul. trouvez quelqu'un pour y aller avec vous
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Les photos qui illustrent cet article ne sont évidemment pas celles de Kimia et ses amies, mais celles de jeunes filles qui ne risquent malheureusement plus rien (Asra Panahi, Nika Shakarami, Sarina Esmailzadeh). Le prénom a également été changé, mais le risque, lui, est bien réel.
Alors pendant que ces enfants seront dans la rue, pour tenter d'exister et de lutter contre un pouvoir sexiste, meurtrier et liberticide, ne détournez pas le regard, et soyez leur voix, car je doute que les médias occidentaux se fassent massivement leur écho quand elles crieront, les mains nues et le sac Eastpak rempli de leur panoplie dérisoire, face aux forces armées du régime :
Femme Vie Liberté !
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Jin, Jiyan, Azadi devise des féministes kurdes
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Soutien à la révolution iranienne en cours
Zan, Zendegi, Azadi cri de la révolution iranienne
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