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Photo du rédacteurSirine Alkonost

Dernier message de Téhéran



Depuis des années, mon quotidien intime est fait de fils invisibles tendus entre Paris et Téhéran. Ces fils ont toujours été ténus - du temps de Yahoo et AOL déjà, remplacés depuis par Whatsapp, Signal, etc. Depuis les manifestations qui ont suivi la mort de Mahsa, ces fils se sont, un à un, brisés. Mais juste avant le black out, j'avais reçu ce courrier, écrit pour vous, lecteurs de France.

À qui voudra bien l'entendre (une lettre de l'intérieur, pour ceux qui sont à l'extérieur)
Cher lecteur, lectrice,
Tout d'abord, je voudrais te remercier. Merci d'avoir posé des questions, et merci de te soucier de nos réponses.
Parfois, ça signifie tellement, juste de savoir que quelqu'un se soucie de nous.
Je t'écris depuis une matinée plutôt calme et ensoleillée. On dirait que la marée humaine s'est retirée pour panser ses blessures et vaquer à ses occupations.
La nuit dernière a été encore plus violente que les précédentes, ici dans notre quartier. Les fusils à plomb ont été rejoints par des Ak47, autrement connus sous le nom de Kalachnikov.
Notre président vient de rentrer de New York, et comme il n'a plus de souci à se faire pour sa propre sécurité et qu'il a fini de prendre le thé avec des officiels étrangers, il n'a plus besoin de se retenir... La saison est ouverte comme on dit. Et c'est nous le gibier. Avant de commencer à expliquer certaines choses, je dois préciser que je ne représente personne. Personne ne m'a élu et ici, dans cette note, il n'y a que mon opinion - la mienne et celle de personne d'autre. Chacun peut être d'accord avec moi ou non, et se demander si d'autres seraient d'accord ou non avec ce qui est écrit ici.
Je ferai de mon mieux pour être concis, principalement parce que je tape d'une main, et qu'elle est en piteux état. Et puis je n'ai pas beaucoup de temps devant moi, avant que le rideau ne tombe.
Alors, voilà :
1-Tout d'abord, tu n'es pas libre, sauf si je le suis. Ne te considère pas comme libre, simplement parce qu'on te dit que tu l'es. Tu ne seras libre que si tu es en capacité de promouvoir et de défendre ma liberté. Peu importe qui ou alors où je suis. Cela, je pourrais l'expliquer plus en détail, mais laissons les longues digressions pour un autre jour.
Aujourd'hui, comprends-moi, nous manquons un peu de temps. Souviens toi simplement que la liberté, quand elle n'est pas partagée par tous, se nomme en réalité privilège.
2- L'Iran n'est pas un petit problème. L'Iran affecte le monde plus que tu ne le penses. L'Iran n'est pas un petit pays sans importance dans un coin du planisphère . L'Iran est grand et à peu près au centre de la carte. Ne sous-estime pas le pouvoir de ceux qui contrôlent ce pays.
Et puis, quand bien même il s'agirait d'un petit pays sans importance, les vies humaines valent toujours la même chose, peu importent la couleur, la langue, la taille ou la religion. Ne sous-estime pas la foi en cette vérité, appelée « égalitarisme ». L'égalitarisme est probablement la réalisation la plus précieuse de l'humanité depuis l'origine des temps.
3- Les femmes représentent la moitié de la population de la planète. Les femmes ne sont pas une « minorité ». Alors ne laisse personne prétendre que cette révolution n'est pas une révolution, ou que ce n'est pas une révolution de femmes, pour les femmes. C'est une révolution des femmes. Garde bien ça en tête. Les mots sur les pancartes et les hashtags sont sans équivoque. Leur simplicité fait leur puissance : Femme. Vie. Liberté.
4- La révolution est communément définie comme « le peuple » contre « le gouvernement ». C'est juste du bon sens. Et moi, je suis "les gens". Je ne suis pas une définition ou une étude de cas d'érudit.
"Le gouvernement", ici, opprime "le peuple", au moyen d'une violence brute, sous un linceul de confusion et d'obscurité. Ne sois pas confus. Regarde les images. Observe la vérité. Sois un témoin. C'est dans ton monde que cela se passe. Comprends-le. Tu ne peux pas laisser la responsabilité de comprendre aux autres. Lorsque tu comprendras, tu sauras quoi faire.
5- Les oppresseurs sont aussi des Iraniens. Aucun doute à ce sujet. Bien sûr, il ne faut pas oublier l'influence et la volonté des puissances extérieures, mais aucune puissance extérieure ne serait efficace, sans l'aide de l'intérieur. Ainsi, en fin de compte, les principaux oppresseurs sont des Iraniens...
Comprends la différence. Ne te trompe pas d'Iraniens. Ils sont environ 8 millions à vivre en dehors de l'Iran. Demande-toi si les Iraniens que tu connais sont vraiment le genre de personnes avec qui tu veux être associé.
Cela ne veut rien dire qu'ils portent un hijab ou non. Certaines personnes très bonnes et dignes de confiance sont tout simplement religieuses.
Les religieux ne sont pas nécessairement des meurtriers ou des voleurs. Les jeunes filles sexy en bikini ne sont pas nécessairement des combattantes de la liberté. Ne te fie pas aux apparences.
Porte une attention particulière à l'âme des gens. Ce gouvernement est très efficace dans la tromperie. Tu ne seras jamais trop prudent.
6- Ce gouvernement est, également, riche au-delà de ton imagination. Il achète des gens partout. Journalistes, politiciens, artistes, etc. Ils ont beaucoup de monde à leur service. Ne fais confiance à personne. Regarde attentivement comment tout ce qu'ils font affecte les choses. Regarde leur choix de mots, leur timing, leurs convictions et n'avale pas les discours inutilement compliqués. Les priorités sont claires.
7- Il y a des centaines de personnes injustement détenues dans les prisons iraniennes en ce moment-même. Le gouvernement les torture parfois à mort. Il n'est pas rare qu'ils brisent leur âme et les forcent à apparaître à la télévision gouvernementale et à avouer des choses qu'ils n'ont jamais faites. La télévision iranienne est un outil puissant et une extension de l'État policier. Les journalistes de télévision sont souvent appelés interrogateurs-journalistes.
C'est assez simple : si j'apparais à la télé demain, tout ce que je dis est un mensonge. Ne rendons pas les choses plus compliquées que nécessaire: si ça passe à la télévision iranienne, ça ne vaut pas un rond.
8- Quand ils éteignent Internet, c'est comme s'ils éteignaient la lumière. Sous le voile de ces ténèbres, ils assassinent jeunes et vieux. Tu ne verras jamais tout ce qui se passe. Beaucoup d'images sont trop violentes pour que tu puisses les transmettre ou les voir. Beaucoup, n'ont même jamais été enregistrées. Ce qui te parvient est un infime pourcentage de la réalité. Pour cette raison, et plus encore, Internet est un droit de l'homme majeur, et non mineur. Je le répète : un droit majeur.
9- Derniers mots pour aujourd'hui : Si ce dernier combat pour la liberté échoue, il y a de fortes chances que la lumière s'éteigne ici pour très longtemps. Comme en Corée du Nord.

Tu devrais prendre ce dernier avertissement avec le plus grand sérieux : les armes nucléaires sont évidemment un grand danger, surtout entre les mains de ce régime, mais même sans elles, ils peuvent être - et sont - tout aussi dangereux. Ne laisse pas le discours sur les accords nucléaires détourner ton attention de tout le reste.
Si cette bataille est perdue, sois assuré que cette planète basculera dans un tel paradigme, que l'humanité pleurera pendant des siècles.
Si tu ne me crois pas, fais tes propres recherches et souviens-toi: les femmes représentent la moitié de la population de la planète.
Les femmes!
Certaines d'entre elles, aujourd'hui, doivent affronter des balles réelles, juste pour gagner le droit de laisser les rayons du soleil briller sur leur cuir chevelu !
Merci pour ton attention. Ne passe pas trop vite à autre chose. Trouve des Iraniens dignes de confiance. Communique avec eux.
Nos vies comptent.

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