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Fenêtre sur l'Iran : agenda culturel de mai / ordibehesht

Photo du rédacteur: Sirine AlkonostSirine Alkonost
Plusieurs propositions culturelles pour créer du lien avec la création vivante de l'Iran en lutte, et un nouvel entretien avec Hossein Hajizadeh Siboni, artiste iranien en exil, à l'occasion de sa nouvelle exposition.


Nous sommes nombreux à lutter contre le découragement, en Iran comme à l'étranger, devant l'inertie des médias et des gouvernements du "monde libre", alors que la liste des crimes de la République Islamique ne cesse de s'allonger dans l'indifférence générale.

Malgré tout, l'espoir se glisse dans des recoins inattendus, et le monde de la culture garde sa main tendue, à travers le silence et la désinformation.

Ce ne sont pas les chansons, les peintures, les poèmes, les films ou les pièces de théâtre qui feront tomber le régime, certes, mais c'est encore le meilleur moyen de continuer à faire connaissance, de ne jamais renoncer à créer des liens, et de construire, malgré la violence et malgré la distance, une véritable solidarité humaniste.


Une des choses que la révolution Femme Vie Liberté a d'ores et déjà réussies, et qu'il convient à mon sens de préserver, c'est de remettre l'Iran sur la carte de la culture "mainstream", et d'éveiller la curiosité du consommateur moyen de l'offre culturelle internationale.

Des agrégateurs de contenus en ligne exclusivement dédiés à l'Iran connaissent un succès inédit, et de nombreux événements sont mis en avant sur les médias traditionnels.

J'avais relayé sur mes comptes Instagram/Facebook/Twitter la nouvelle soirée de soutien organisée, le mois dernier par le collectif Barâyé, au théâtre du Châtelet à Paris (des textes de ce blog, des poèmes militants ainsi qu'un rap de Toomaj traduits par mes soins avaient été lus sur scène, entre des performances musicales de nombreux artistes), mais aujourd'hui je renoue avec le rituel de l'agenda culturel en vous proposant une petite sélection pour ce mois ci ("ordibehesht" dans le calendrier Persan) avec en bonus une interview de l'artiste iranien en exil Hossein Hajizadeh Siboni, avec qui j'avais déjà échangé lors de sa précédente exposition.
















Peinture: exposition de peintures de Hossein Hajizadeh Siboni au Relais Chardon, dans le 16eme arrondissement de Paris, avec un vernissage ouvert à tous samedi 13 mai à partir de 19h. Ci dessous, un entretien avec l'artiste, qui avait déjà répondu à nos questions il y a quelques mois, à l'occasion de sa précédente exposition.

Sirine Alkonost: votre précédente exposition, sur les prisonniers politiques, présentait une certaine unité stylistique, ancrée dans un symbolisme touchant parfois à l'art naïf. Cette nouvelle exposition, plus ambitieuse en terme de nombres d'oeuvres, semble indiquer un virage créatif. Comment décririez vous votre rapport à l'abstraction ?

Hossein Hajizadeh Siboni: Je suis tout à fait d'accord avec vous que le projet des prisonniers politiques était dans un style simple et naïf. Le deuxième volet de ce projet, qui est en cours de réalisation, sera dans la même veine, la différence étant que dans cette deuxième série de tableaux, je me concentre sur les prisonnières politiques plus particulièrement militantes dans le domaine de la protection de l'environnement. Pour cette raison, le concept d'extinction est donc prépondérant dans le style de ces pièces.

Cette nouvelle exposition, elle aussi, vient du cœur du projet sur les prisonniers politiques, de la même manière que le projet sur les prisonniers politiques vient lui-même du cœur de l'histoire de ma vie.

Ce rapport à l'abstraction est aussi entre moi et le personnage du projet des prisonniers politiques. Comme un personnage ambigu à la fois présent et absent. C'est une sorte de disparition dans une partie du temps qui est marquée par l'exil et le changement de lieu.

Si on considère l'abstraction comme le processus d'abréger, de compresser et de résumer des informations en identifiant, en extrayant, puis en séparant et en masquant les détails de l'ensemble, mon objectif avec ce style artistique dans ce projet est de faire partie d'un tout, c'est-à-dire de s'arrêter et de refuser, déchirer et traîner, prendre, et m'éloigner de mes expériences d'enfance.

J'utilise le style de l'abstraction pour généraliser le résultat en réduisant le contenu informatif - ici, le phénomène très concret des enfants travailleurs des rues de Téhéran.

Je faisais partie intégrante de ce phénomène, et j'ai utilisé mon expérience pour conserver, à travers le filtre de l'abstraction, l'essence des crimes de ce régime contre les enfants.

Je pense aussi qu'il est plus facile, ou en tous cas moins violent pour le visiteur de communiquer avec mon travail à travers ce style, car les images et les informations sur le travail des enfants sont très dérangeants et perturbants. La plupart des gens trouvent insoutenables les scènes douloureuses de la vie d'un enfant, d'un être humain ou de tout être vivant, au point de ne plus pouvoir comprendre ce qu'ils ont sous les yeux.

On peut dire que j'ai utilisé ce style pour respecter les visiteurs et ne pas blesser leurs sentiments, parce qu'ils n'ont certainement aucune responsabilité dans de ces crimes, et ne méritent pas d'être violentés, mais aussi parce que je pense que l'horreur des crimes représentés est trop épouvantable pour craindre qu'elle soit diluée par le filtre de l'abstraction, et enfin et surtout parce que je veux préserver toutes les chances que les visiteurs comprennent ce qu'ils voient. Mon but est de montrer le réel, pas de créer un sentiment de choc ou de traumatisme. Paradoxalement, s'écarter du réalisme est parfois la meilleure manière de respecter la vérité.

S.A : Je comprends. Dans le même esprit, proposez-vous une interprétation de vos choix symboliques, comme l'utilisation de références topographiques (la tour Milad, le métro de Téhéran, certains carrefours et bâtiments) et le jeu avec les codes de l'art abstrait, ou bien laissez vous le public décider ce qu'il convient d'y voir ?

H.H.S : Je pense en effet que la topographie est très importante dans ce projet. Je raconte une partie de l'histoire de la République islamique d'Iran. Tout comme l'histoire est faite d'événements, de moments de transition et de changements de gouvernement, elle est aussi faite de lieux, de sites, et d'architecture.

Dans le panneau "au nord de Téhéran" où apparaît la tour Milad, on aperçoit une lumière plus faible au bout du boulevard, c'est un indice de l'absence ou d'une présence minime d'enfants travailleurs au nord de cette ville. J'avais l'intention de montrer la différence de classe dans la société en dessinant ce tableau, et la tour est une sorte de marqueur physique de cette réalité symbolique.

Et à l'inverse, dans le panneau "Narrative of Pictures" sur le chemin de fer de Téhéran, qui est la partie sud de cette ville, nous voyons les crimes du régimes mis à nu.

Dans les tableaux « Une nuit normale », « Repos sur carton », « La solitude entre tous » et autres tableaux représentant le sud de Téhéran, on voit la présence de personnes indifférentes aux enfants des rues et aux animaux, tout comme aux immeubles et aux objets. C'est une réalité amère que la pauvreté et la misère et la présence d'innombrables enfants et animaux abandonnés dans cette partie de la ville ont conduit à l'indifférence des gens envers la douleur et la souffrance des autres.

Sans doute l'explication de cette indifférence est-elle l'oeuvre des gouvernements dictatoriaux, ce qu'Alexis Tocqueville exprime bien en une phrase : "Dans les sociétés où les sentiments des peuples sont froids les uns envers les autres, le "régime autoritaire" peut faire un pas de plus et transformer cette froideur en congélation."
Dans le tableau "Je vais dormir", l'oeuvre criminelle du gouvernement totalitaire et de l'idéologie religieuse est clairement visible.

Dans les recoins des bâtiments et des chantiers que le gouvernement multiplie à travers le pays, il y a d'innombrables enfants des rues et de pauvres gens dont la vie est pleine de souffrances et de tortures. Pour moi, ce tableau est un rappel de l'époque où je dormais dans la ville voisine de Qom (Haram Masoumeh), pendant les jours les plus froids de l'année et des gens pieux venaient de villes lointaines pour visiter ce soi-disant lieu saint et y déposer leurs aumônes dans une sorte de "tronc des pauvres" placé à proximité. Le plus souvent, ils jetaient leur obole et passaient indifféremment à côté de nous, les enfants qui dormions dans la rue.

S.A: les personnages de vos tableaux sont souvent seul, dans un paysage anxiogène, et les titres renforcent l'impression que vous établissez un parallèle entre la situation sociale/politique que vous dénoncez dans vos œuvres, et un sous-texte moins évident, plus intime, lié aux problématiques de santé mentale. Est-ce un processus conscient et volontaire, et, si oui, pensez-vous que l'on peut qualifier l'Iran d'aujourd'hui (ou celui que vous avez quitté) de société cliniquement malade ?

H.H.S : Oui, cette société souffre de maladie. Une telle indifférence de la société envers la souffrance et la torture d'un être vivant est forcément causée par une maladie dangereuse, et nous parlons ici d'indifférence envers les plus vulnérables des enfants, c'est indéniablement terrible et anormal.

La souffrance et la torture d'un enfant qui dort affamé dans les rues d'un pays et fait face à l'indifférence de la société est probablement imputable au manque de liberté dans cette société. Aucune société sous le règne de la tyrannie n'a la capacité de reconnaître sainement ses manquements ou ses mérites. Dans les moments critiques, il n'y a pas de place pour des aspirations plus élevée ou plus complexe que le simple bien-être matériel et individuel.

Pour cette raison, la pauvreté et la misère ont rendu les gens de la société indifférents les uns aux autres, et cette indifférence se voit clairement dans toutes mes œuvres, en particulier l'indifférence envers les enfants qui travaillent et les animaux abandonnés.

Bien que je n'ai pas d'expertise médicale, il me paraît indéniable que cette psychose est clairement visible dans la société iranienne, du moins dans les couches les plus défavorisées de la société, qui constituent aujourd'hui une grande partie de la société iranienne, ceux qui vivent en dessous du seuil de pauvreté et n'ont aucun espoir de se hisser au dessus de ce seuil.

À mon avis, lorsqu'il n'y a aucun espoir pour la vie, alors la maladie, le crime et même le suicide sont présents à chaque instant avec force, dans le quotidien de tous.

Peut-être que l'expérience d'avoir été un enfant travailleur dans la société iranienne pendant des années m'a conforté dans cette conviction. J'ai pu observer de mes propres yeux que même la suppression systématique des instincts sexuels par le régime, au moyen de lois qui régissent les comportements privés, et les droits des femmes, provoque des crimes, des viols et même des meurtres.

À mon avis, une grande partie de la société souffre de maladie et le remède à cette maladie est sans aucun doute possible l'accès à la liberté et à la démocratie. Comme nous en sommes témoins dans l'histoire de la grande révolution française, c'est la liberté qui remplace l'appétit des gens pour la richesse et la prospérité matérielle individuelle par des idéaux plus nobles et universels.

Depuis le début de la révolution femme, vie, liberté, les opposants au gouvernement n'ont cessé de se référer à une classe de la société qu'ils ont surnommée la « classe grise » et ils ne cessent de leur demander de ne pas rester indifférents aux crimes du régime.
L'indifférence de cette frange de la société, qui ne dépend absolument pas du gouvernement et vit elle aussi dans la souffrance et la misère, est plus frappante de jour en jour. On ne peut qu'être stupéfait et choqué de voir que même depuis que les filles dans des centaines d'écoles à travers le pays ont été victimes d'attaques chimiques, il n'y a pas eu de réaction significative de la "classe grise" pour forcer le gouvernement à reculer. On peut voir cela comme un autre signe de l'état maladif de la société, un symptôme proche de la sidération, ou de l'asthénie paralysante.

S.A: votre engagement personnel dans la lutte pour les droits humains, et la révolution Femme, Vie, Liberté, qui se déroule en Iran depuis la mort de Mahsa (Jina) Amini en septembre dernier ne sont pas un secret, considérez-vous votre expérience personnelle de l'oppression, qui semble être la colonne vertébrale de votre art, du moins dans cette exposition, comme une arme à retourner contre le régime (de la République Islamique)?

H. H. S: Il peut sembler au premier abord que mon expérience personnelle m'a poussé à me venger du gouvernement dictatorial de la République Islamique, mais en fait ce n'est pas le cas. J'ai l'intention d'utiliser cette expérience de vie amère, certes, mais pour être la voix des enfants qui sont systématiquement abandonnés, persécutés et qui ont souvent un avenir sombre dans la société. Comme l'expérience me l'a prouvé, ces atrocités et ces crimes peuvent même transformer ces enfants eux-mêmes en criminels qui mettent à leur tour la société en danger.

Je me bats pour la santé mentale de la société en tant que petite partie de l'ensemble, je ne me bats pas pour me venger de l'oppresseur.

Pour être clair, j'utilise cette expérience pour exprimer l'amère réalité d'une communauté.
Un de mes modèles dans la vie est Mme Narges Mohammadi, quelqu'un qui a été éloigné de ses enfants pendant de nombreuses année en raison de son combat pour la défense des droits humains. Si j'avais l'intention de me venger personnellement du régime, de quelque manière que ce soit, je ferai en fait du tort à la société civile et à la lutte des personnes qui ont été persécutées pendant des années à cause de leur engagement pour un avenir meilleur, libre et démocratique. Pour être clair, ce qui est important pour moi en tant qu'artiste et défenseur des droits humains, c'est la liberté humaine vis-à-vis des régimes dictatoriaux.

S.A: les œuvres de votre précédente exposition étaient des installations plastiques plus encore que des "toiles", mais le plexiglas qui protégeait les objets symboliques semblait davantage instrumental. Dans cet ensemble, en revanche, malgré la présentation et l'accrochage plus classique, la protection derrière une vitre interroge. Pourquoi avoir fait ce choix ?
H.H.S: Permettez-moi de répondre à votre question par un souvenir.
Je me souviens que lorsque j'avais seize ans, lorsque j'étais accro à la drogue, j'ai dormi plusieurs jours aux alentours de la gare de Téhéran. Un jour, alors que je cherchais de la nourriture dans les poubelles, j'ai eu l'impression d'être observé, comme si un gros œil me regardait. Ce sentiment m'a accompagné pendant des années, je me suis toujours dit : des yeux me suivent constamment. C'était peut-être à cause du lavage de cerveau, à l'époque où j'allais à l'école, quand les enseignants et la société dans son ensemble insinuaient continuellement que Dieu était en permanence le témoin de toutes nos actions.
Cette pensée existe dans la plupart des communautés religieuses. Mais ce soir-là au sud de la gare de Téhéran, quand j'ai sorti la tête de la poubelle, la première chose qui a attiré mon attention, ce sont les grandes photos de Khomeyni et Khamenei qui étaient affichées sur le mur à l'entrée de la gare ! (Référence au tableau "Narration d'images")
Après cela, j'ai continué à voir des publicités gouvernementales partout, et à chaque fois je me suis demandé combien avaient coûté l'impression et l'installation de ces affiches de propagandes et dans quelle mesure tout cet argent aurait pu servir à résoudre le problème de la faim et la pauvreté des enfants des rues.
Plus tard, quand j'ai lu le livre 1984 de George Orwell, j'ai trouvé la réponse à beaucoup de mes questions d'enfance.
Bien que je ne croie plus en l'existence de Dieu depuis de nombreuses années, je ressens parfois inconsciemment le regard de ces yeux qui me suivent. Au début, cette sensation me gênait beaucoup, mais un jour je l'ai imaginée comme l'objectif d'appareil photo braqué sur moi, et je me suis dit que chaque action que je ferais serait à présent enregistrée dans l'histoire. Je suis un acteur, je joue un rôle, et donc je dois bien jouer mon rôle. Cette problématique se lit déjà clairement dans le projet photographique que j'ai réalisé en 2020.
J'ai voulu exprimer certaines problématiques cette fois encire en enfermant mes peintures dans des cadres photo.
Mes souvenirs d'enfance sont toujours comme une image dans ma tête. Il n'y a pas de différence entre dormir et se réveiller. Ces images continuent comme une vidéo d'art contemporain, qui tourne en boucle sans s'arrêter, parfois elles paraissent vagues et parfois elles semblent être une image fidèle de la réalité. Il y a des moments dans la vie où on a l'impression d'avoir déjà vu ce moment, de l'avoir vécu, le caractère matériel et immatériel de telles scènes est souvent agaçant. Que va-t-il se passer ?
J'essaie de trouver les réponses à ces questions, donc je cherche un moment de ma vie où une caméra n'était pas disponible pour l'enregistrer.
En fait, je photographie le passé, mes rêves et mes cauchemars pour retrouver mon chemin dans le monde dans lequel je suis perdu ou emprisonné.

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