Fenêtre sur l'Iran : la musique est dans notre camp
Notre jeunesse danse et chante contre un pouvoir qui veut la faire taire, et éteindre les flammes de son énergie et de sa créativité. Mais la musique est dans notre camp, dans le camp de la vie, de la liberté et de la joie. Aujourd'hui, je vous propose une Playlist éclectique, pour découvrir un peu plus l'Iran, sous un nouvel angle.
Vous avez été nombreux, depuis le début de ce blog, à me parler de musique, voire à me demander des conseils.
Je n'écoute pas beaucoup de musique iranienne et je ne suis pas du tout une spécialiste, mais je me plie aujourd'hui à l'exercice pour plusieurs raisons:
1) l'internet ne fonctionne toujours pas, chez moi, en Iran. Je ne peux communiquer avec mes proches que par courrier électronique, et ce n'est pas un moyen sécurisé, donc nous ne nous racontons rien. Ça sert juste à confirmer qu'on est vivants, en gros.
2) nous l'avons assez répété ici, cette révolution est un combat pour la vie, la joie, la danse et la musique. Il faut que la musique vive. Y compris sur ce blog, donc.
3) si vous lisez ce blog, c'est que vous vous intéressez à l'Iran. Donc de deux choses l'une, soit vous êtes Iraniens et vous pourrez donc compléter ma Playlist dans les commentaires, soit vous ne l'êtes pas, et vous découvrirez forcément quelque chose.
Avant de vous laisser explorer les morceaux que j'ai sélectionnés pour vous, je voudrais vous rappeler qu'il est impossible pour un groupe de rock/punk/reggae ou autre courant musical décadent, d'avoir une carrière dans la musique en Iran. Vous avez donc le choix entre la clandestinité (qu'on appelle "underground") ou l'exil (souvent au Canada ou aux États-Unis, parfois en Europe). Les mélomanes sauront sans doute reconnaître à la l'oreille nue quels morceaux ont été produits dans des caves en Iran, et lesquels sortent de studios d'enregistrement du monde libre.
Je ne pouvais pas commencer par autre chose que "Baraye", devenu l'hymne de cette révolution, et repris par toutes sortes de gens, dans plusieurs langues (Rana Mansour a fait une version en anglais, et j'ai vu au moins une version en français). Vous l'avez certainement déjà entendue, mais je remets l'originale pour le principe, ainsi que ma reprise préférée, qui m'avait été envoyée par une adolescente française solidaire (elle ne parle pas le Persan et a appris toute la chanson en phonétique. Je sais qu'elle lit tous les commentaires sous la vidéo, n'hésitez pas à lui en laisser un si vous appréciez).
Comme beaucoup de musiciens iraniens, tous styles et toutes générations confondus, le groupe O'hum a puisé les paroles de nombre de ses chansons dans l'œuvre poétique de Hafez.
Ballgard signifie "Hélicoptère". J'ai mis deux morceaux dans la liste (le premier avec un clip qui reprend de nombreux extraits de vidéos de moments marquants de l'histoire des soulèvement populaires en Iran) mais leur style est très éclectique, n'hésitez pas à vous promener davantage sur leur chaîne.
Eendo est un duo dont les clips vidéo sont souvent très créatifs, je vous encourage à vous promener sur leur chaîne. Le premier morceau n'a pas de clip, mais il m'a semblé d'actualité. Il date de l'époque de la "vague verte" et fait référence à la tradition des cris nocturnes aux fenêtres (une tradition reprise par la révolution actuelle). La deuxième chanson est une exhortation à la danse.
Googoosh est un monument de la musique populaire iranienne. Je vous renvoie à sa page Wikipedia ou à ses millions de fans pour plus d'infos sur sa vie et sa carrière. J'ai choisi deux de ses tubes, assez anciens. Do panjereh ("deux fenêtres") en particulier tient une place particulière dans le cœur de beaucoup d'iraniens de l'étranger. Simple histoire d'amour impossible en apparence, la chanson décrit le déchirement de la séparation, et d'une distance impossible à surmonter, avec quand même, à la fin, l'espoir de retrouvailles trop longtemps attendues (avec un pays quitté à regret)
Un autre exemple de poésie immortelle, mis en chanson par l'actrice et chanteuse Ghazal Shakeri. Cette fois il s'agit d'un poème d'amour mystique de Jalaleddin Rumi (Mowlana). Une version longue, remixée par le DJ allemand NU, est également disponible sur YouTube, je la recommande aux amateurs de musique électronique planante. Le deuxième morceau, je l'ai choisi à cause du titre "parce que tes cheveux".
Je ne sais plus qui me demandait si on avait du Punk en Iran... Le problème c'est surtout d'enregistrer et de diffuser, donc c'est difficile de partager les musiques les plus "alternatives". "Gooroohe sad o bist o haft" ou "le groupe 127" a vécu son histoire avec son public à l'abri des regards du monde. Ses membres sont aujourd'hui dispersés à travers le monde (dont l'Iran) mais certains de ses morceaux restent légendaire pour ceux qui ont grandi en Iran.
Marjan Farsad vient du monde de l'animation, elle dessine elle-même les clips vidéos de ses chansons. Celui de "khooneyeh maa" (notre maison) est devenu viral à sa sortie, aidé par une musique délicatement mélancolique et des paroles extrêmement nostalgiques, où de nombreux exilés ont immédiatement reconnu leur enfance dans un pays qu'ils ont parfois quitté pour toujours.
La chanteuse Niaz Nawab a elle aussi puisé souvent dans l'œuvre de Hafez, ce poème intitulé "La mer" est disponible en version trio rock, où en version guitare acoustique et Orchestre symphonique (avec le compositeur et chef d'orchestre Arash Fouladvand)
Kiosk est un groupe très suivi par la diaspora Iranienne. Je vous propose un morceau qui est une reprise de J.J Cale, "mamma don't like". Dans la version originale, c'est "maman" qui pose les interdits, mais dans l'adaptation en Persan "Saz Nemisheh Zad/il est interdit de jouer des instruments", c'est implicite. On se demande bien qui interdit qu'on joue des instruments de musique, qu'on danse ou qu'on parle à la fille du voisin... (le deuxième morceau est, lui, ouvertement politique, et dénonce explicitement les abus du pouvoir en place en Iran)
Mohsen Namjoo, que certains considèrent comme le Bob Dylan Iranien, fait partie des artistes condamnés à des peines de prison en leur absence. Son œuvre ayant été considérée comme injurieuse envers l'Islam, il serait incarcéré si il retournait en Iran. J'ai sélectionné pour vous un morceau politique et un autre traditionnel (une chanson qui me tient à cœur car mes parents m'en chantaient une version en guise de berceuse)
Les deux morceaux suivants sont pour les quelques Iraniens qui ont tenu jusqu'ici. Il s'agit de deux reprises (l'une par un collectif d'artistes iraniens expatriés, l'autre par un chœur d'enfants en Iran) d'une chanson qui servait de générique à une émission jeunesse, il y a fort fort longtemps dans une galaxie lointaine, dans l'Iran de mon enfance.
Le groupe Pallett a connu des fortunes diverses, au fil des années. Il fait partie des groupes de musique "profane" qui ont été légalement diffusés, ponctuellement, à des moments de "relâchement" culturel, notamment sous la présidence Khatami (si ma mémoire ne me joue pas des tours). Cela ne les a pas empêchés de jouer avec le sujet de la censure, notamment avec la vidéo que je vous propose ici, où ils jouent sur des instruments invisibles.
Voici un autre monument, de la musique traditionnelle cette fois: Shajarian (Mohamadreza, de son prénom, même si on ne dit pas vraiment son prénom. C'est juste "Shajarian" ou "ostad" / le maître. Le prénom peut cependant aider à ne pas le confondre avec son fils Homayoun, musicien en activité.), véritable dieu vivant pour ses très nombreux fans. Enfin jusqu'à sa mort, relativement récente, et annoncée une bonne douzaine de fois dans les mois qui l'ont précédée, afin de diluer un peu l'émotion populaire et d'éviter que les gens ne descendent dans la rue. La première chanson que j'ai choisie pour vous "l'oiseau du matin" revêt pour beaucoup d'Iraniens une valeur sentimentale très forte.
Virage à 180° avec Justina, jeune rappeuse que j'ai pour ma part découverte sur la scène du Trianon lors de la soirée de soutien organisée par le collectif Barâyé. Elle est cependant en activité depuis plusieurs années et j'ai même découvert qu'elle avait fait un featuring sur un morceau de Toomaj. Le clip du premier morceau est réalisé à partir d'images de la Révolution en cours. L'autre morceau est plus ancien, mais il parle, aussi, de liberté.
Golnar Shahyar était aussi sur scène au Trianon, avec ce très puissant morceau écrit et composé pour la Révolution en cours. Golnar Shahyar collabore de façon habituelle avec le musicien Mahan Mirarab, comme par exemple dans le deuxième morceau proposé ici.
chantent et rappent depuis des années sur un ton irrévérencieux et parfois franchement révolutionnaire. Je vous propose deux morceaux indéniablement politiques, avec leurs clips amusants. Le premier s'intitule "démocratie" et le second "drapeau".
J'ai commencé avec Shervin, c'est justice que je termine avec Toomaj. Si vous me lisez depuis le début, vous savez déjà que Toomaj Salehi, rapeur célèbre originaire d'Ispahan et soutien de la première heure de la révolution #FemmeVieLiberté, est en prison, victime de tortures et soumis à un procès inéquitable au cours duquel il encourt la peine de mort. Son discours a toujours été militant, et il avait anticipé son arrestation. Son courage, exprimé dans sa vie comme dans son art, galvanise la jeunesse iranienne qui reconnaît en lui un véritable modèle, et un allié qui n'hésite pas à mettre le pouvoir en face de son hypocrisie et de ses crimes. La chanson "soorakh moosh" (Trou de souris) en est une bonne illustration.
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