Fenêtre sur l'Iran: Une Lettre d'Amour sous la Révolution
Des fruits issus de la classe ouvrière, une famille séparée par les frontières, des lettres d'amour plutôt que de noblesse, à la plume trempée dans l'encre prolétaire... La lettre d'aujourd'hui est un coup d'œil indiscret sur les conséquences intimes de l'agitation révolutionnaire..
Bonjour Ma Colombe,
Je viens de me faire couler un bain, pour une fois qu'il y a de l'eau vraiment chaude, après plusieurs jours d'eau tiédasse ou même franchement froide.
Je pense que je vais sauter le petit-déjeuner. Hier soir, j'ai mangé des "Azgil" en trop grande quantité. Et je me suis fait la réflexion que je n'avais aucune idée de leur nom en anglais ou en français. Ils sont bruns et doux à l'intérieur avec une couche de peau épaisse et de grosses graines, et ils semblent exister sans but évident. Les manger est toujours un peu difficile. Il faut mettre toute sa vie de côté pendant quelques minutes juste pour en consommer 3 ou 4. Et on pourrait même se dire que cela n'en vaut pas la peine, car ils ont un goût plutôt moyen en fait. C'est peut-être pour ça que tu n'en manges jamais, avec ton palais de princesse. Ils n'ont clairement pas le goût d'un fruit pour une table princière.
Mais moi, je les aime. Je me fiche de ce que quiconque en pense. Même toi. Je suis un défenseur de la classe ouvrière. Les fruits, les humains, même combat.
Les lettres d'amour, il vaut toujours mieux les écrire spontanément plutôt que sur commande. Je sais qu'il est possible d'en fabriquer. Je parie même que bientôt, il y aura des bots qui le pourront (je suis peut-être même en retard sur la réalité, après tout il y a bien des bots qui écrivent des poèmes..).
Mais mes lettres d'amour sont comme ces fruits de la classe ouvrière. Elles ne sont pas particulièrement bien écrites ou colorées ou parfaitement arrondies, mais comme la classe ouvrière, elles sont les plus agréables quand elles sont bonnes et mûres, et elles n'ont pas la médiocrité de chercher à être parfaites ou être les meilleures.
Mais je t'aime quand même. Et mes lettres d'amour s'écrivent pour toi sous ma peau, même si personne ne les voit. De temps en temps, une note s'ajoute à ce parchemin, quand je viens de dire ton nom par exemple, en ramassant un fruit ou une chemise ou en jetant un caleçon dans le panier à linge, ou en ouvrant une porte, ou quand j'ouvre la fenêtre à 21:00, pour crier avec les voisins. Je dis juste "Colombe", ton nom caché dans mon souffle, alors que j'ouvre cette porte ou que je ferme ce tiroir.
Il n'y a pas besoin de plus.
Pas besoin de "Colombe, sois là" ou "Colombe, je te veux", car ton nom suffit. Il suffit que celui qui le prononce, et celui qui le reçoit, sachent ce que Colombe veut dire.
Cela signifie le sentiment d'être amoureux, dans le confort, sans aucune douleur, cette douleur dont moi aussi, comme beaucoup, j'ai toujours pensé que l'amour ne pouvait être séparé.
Un amour, sans aucune douleur. Aimer sans chagrin, sans souffrance, même si tu es loin, si lointaine et inaccessible.
Parce que tu me l'as appris comme ça. L'amour, la façon dont tu me l'as appris, je n'aurais jamais pensé que ce serait possible. Je ne l'avais jamais imaginé.
Donc, tu vois, une lettre d'amour de classe supérieure, une lettre royale ou aristocratique, ne pourrait pas faire cela. C'est seulement la lettre d'amour prolétaire qui fonctionne.
Mais comme tu le sais, la classe ouvrière n'a pu produire et présenter ses meilleures qualités que très rarement dans la vie ou dans l'histoire.
La classe ouvrière est occupée à travailler. Elle est occupé à être exploité. Elle est occupé à éprouver de la douleur.
La douleur, comme je l'ai toujours dit, est la racine de toute créativité. J'ai peut-être eu tort, mais malgré tout, ma vie a été conçue de cette façon.
C'est un mois de janvier tellement impitoyable cette année... En janvier, toute mon enfance et ma jeunesse, j'étais toujours occupé dans la neige. J'étais haut dans les montagnes, jour après jour, j'étais un champion.
C'est une condamnation, que de vivre sans la neige, et de vivre sans toi, et sans pouvoir, plus jamais être le champion de quoi que ce soit.
C'est un dur labeur, tous les jours, que de ne pas pouvoir travailler. C'est un dur labeur de vous voir, toi et nos enfants, vivre et grandir sans moi.
Mes lettres d'amour, mon amour, s'écrivent chaque jour, sous ma peau. Et si ma peau se déchire, c'est ton nom qui coule. Ton nom et seulement ton nom.
C'est pourquoi je n'écris plus de lettres d'amour, mon amour. Les lettres d'amour ne sont pas pour les gens comme moi. Les gens qui les ont inventées avaient plus d'un mot à écrire.
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