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Photo du rédacteurSirine Alkonost

Iran 1401 - La Révolution qui Vient



Si les iraniens sont si convaincus que le régime va tomber, c'est bien parce qu'ils savent qu'il n'a pas seulement réuni toutes les générations, mouvances politiques et classes sociales contre lui, il a aussi cristallisé, par la violence de sa répression, toutes les revendications successives et simultanées du peuple qu'il tient en joue depuis des décennies.

Depuis que j'ai commencé à traduire et à diffuser sur ce blog les témoignages de mes proches en Iran, et à relayer les messages glanés sur les comptes persanophones de mes réseaux sociaux, j'ai souvent eu affaire à des lecteurs/commentateurs, ici où sur d'autres plate-formes, qui insistaient sur le fait qu'il était erroné de ma part de qualifier de révolution sociétale ou culturelle, ou même de "soulèvement visant à renverser une dictature", ce qui était selon eux, de toute évidence, un climat d'émeutes sociales, traduisant la détresse d'un peuple étranglé par les sanctions économiques imposées par l'Occident, qui avaient rendu les iraniens prisonniers d'une économie exsangue, privée de toute perspective d'évolution.
À chaque fois, inlassablement, je répondais la même chose, à savoir que oui, l'économie est exsangue, oui, le peuple est étranglé, et oui, les sanctions économiques ont causé des dommages irréparables, mais non, les Iraniens qui risquent leur vie dans les rues depuis 57 jours ne réclament pas "la levée des sanctions" mais bien "la fin de la République Islamique" (et le départ - ou pire - des élites politico-religieuses corrompues qui n'ont jamais cessé de voler les ressources du pays, sanctions ou pas).
J'ai donc refusé de relayer leur discours qui non seulement ne trouvait aucun écho auprès de mes contacts en Iran, mais que je n'entendais même pas de la part des Iraniens de l'étranger, qui semblent eux aussi bien conscients du fait que rouvrir le robinet à dollars/euros aujourd'hui (c'est à dire avant la chute du régime) n'aurait sans doute pas de sens, car le degré de corruption atteint par le pouvoir en place ne permettrait pas que ces devises étrangères soient ré-injectées dans l'économie, pour favoriser un retour à la prospérité, et la hausse devenue douloureusement urgente du pouvoir d'achat des Iraniens.
J'ai d'autre part relayé avec force les positions anti-réformistes de mes contacts (dont certains étaient pourtant, il n'y a pas si longtemps des partisans ardents de cette approche, principalement à cause des risques de bain de sang que comportaient toutes les autres, et dieu sait si la suite leur a donné raison sur ce point... ) et dénoncé l'irréalisme des discours prônant aujourd'hui le dialogue avec le régime, parce que le régime a désormais abondamment prouvé qu'il n'était pas réformable.
Mais il ne faudrait pas que ces réalités viennent masquer le fait que la Révolution menée par les femmes d'Iran, et qui s'est transformée au fil des semaines en soulèvement global, porte quand même en elle le bagage de toutes les tentatives précédentes du peuple iranien pour se libérer du joug de la dictature.
En particulier, la "vague verte" de 2009, et le "Aban sanglant" de 2019, que j'évoquais ici hier. Or sur quoi reposaient donc ces deux tentatives ?
En 2009, le peuple avait manifesté pacifiquement, et le cri de ralliement "où est mon vote ?" (suite à l'invraisemblable réélection à la présidence de Mahmoud Ahmadinejad, le candidat du régime, au détriment de candidats réformistes beaucoup plus populaires à l'époque) était clairement le signe d'un désir de réforme, et de la volonté unanime du peuple de "faire entendre sa voix" par les urnes.
Le mouvement avait alors été réprimé dans le sang, et Neda Agha Soltani, victime emblématique de cette répression, n'a jamais été oubliée. Son prénom et son visage sont régulièrement associés à ceux des "martyrs" de ces dernières semaines, comme un rappel que c'est le même peuple qui se soulève, et la même liberté qu'il revendique, même si il n'a plus d'illusions aujourd'hui sur la capacité du régime à la lui concéder par la voie électorale.
En 2019, nous vous en parlions hier, le peuple avait manifesté, beaucoup plus violemment cette fois, en réaction à une baisse elle aussi violente de son pouvoir d'achat, dont la manifestation la plus spectaculaire avait été le triplement du prix de l'essence du jour au lendemain.
Après s'être soulevé en vain pour que son vote soit respecté, le peuple se soulevait donc à à nouveau pour protester contre la pauvreté qui lui était imposée par une élite dont la corruption avait atteint des niveaux qui semblaient impossibles à dépasser (la suite allait leur prouver le contraire). Et à nouveau, ce soulèvement avait été réprimé dans le sang, lors d'un épisode dont la société entière est restée traumatisée.
Je le répète ici pour ceux qui dormaient lors du résumé d'hier : quand le peuple en colère a refusé de se laisser voler encore et encore (et de se serrer la ceinture d'un cran de plus pendant que les âkhounds volaient leur argent pour leur propre bénéfice ou pour le dépenser en Syrie) et qu'il a commencé à mettre le feu aux stations services et à jeter des parpaings sur les voitures de police, le gouvernement a tranquillement éteint internet, et déployé des snipers pour tirer sur tout le monde.
1500 morts plus tard, on n'entendait plus trop de protestations, mais on ne pouvait pas dire que le problème avait été résolu pour autant.
Tout comme la tentative de 2009, le souvenir du soulèvement de 2019 est intégré à l'ADN de la Révolution qui secoue à présent le pays. (ici, une vidéo récapitulative et commémorative de moins de 5 minutes)
C'est particulièrement tangible aujourd'hui, le 24e jour d'Aban, qui en marque le 3e anniversaire.
Sur les petits tracts distribués un peu partout à travers l'Iran depuis la semaine dernière, ce sont les mots d'ordre d'il y a trois ans qui sont repris, en lieu et place des "femme, vie, liberté" et "mort à Khamenei" de ces dernières semaines.
Pour les trois jours à venir, et en mémoire de tous les morts d'Aban 1398, les slogans contre la pauvreté, la corruption et l'inflation reprennent le devant de la scène. Ils ne sont pas les déclencheurs de cette révolution, mais ils n'ont jamais cessé d'exister, et cette semaine, ils vont résonner plus fort encore.
Si les iraniens sont si convaincus que le régime va tomber, c'est bien parce qu'ils savent qu'il n'a pas seulement réuni toutes les générations, toutes les mouvances politiques et toutes les classes sociales contre lui, il a aussi cristallisé, par la violence aveugle et irrationnelle de sa répression, toutes les revendications successives et simultanées du peuple qu'il tient en joue depuis des décennies.
Pour la liberté d'expression, de mouvement et de choix, oui, mais aussi pour l'identité de la patrie contre ce régime "d'occupation de l'intérieur", pour le respect de la vie, contre la mort, mais aussi pour la prospérité économique, contre la corruption. Pour les femmes d'Iran qui mènent ce combat comme des lionnes mais aussi pour les hommes qui marchent, crient et meurent à leurs côtés.
Si vous avez participé aux manifestations de soutien que j'ai relayées ici, vous avez peut-être reconnu les mots-clés que je viens d’égrener pour vous...
En effet, parmi tous les slogans plus créatifs, violents, humoristiques ou transgressifs les uns que les autres, il en est un qui n'a pas faibli en popularité, et qui ne cesse de galvaniser les foules depuis que les étudiants et étudiantes de Shiraz l'ont lancé il y a quelques semaines, c'est celui où hommes et femmes se répondent en criant:
"femme, vie, liberté" / "homme, patrie, prospérité"
Il incarne les espoirs et les valeurs communes de ce mouvement par ailleurs spectaculairement hétérogène.
Et il est suffisamment universel, je crois, pour que chacun le fasse sien.
Aujourd'hui, demain et jeudi, nous sommes tous des femmes libres, des citoyens iraniens honoraires, nous sommes Mahsa, Nika, Sarina, Shirine, Hadis, Ghazaleh, Mehrshad, Mina, Mona, Yalda, Khodanoor, Hossein, Mahan, Toomaaj, Navid, Neda...
Nos vies comptent, donnons de la voix !

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