Il est probable que le monde se souvienne, dans 30 ans et même davantage, du temps qu'il aura fallu, aux peuples mais surtout aux dirigeants du « monde libre » pour se tenir enfin du bon côté de l'Histoire.
Bonjour à tous,
Voilà presque dix jours que je ne suis pas venue vers vous avec un nouveau témoignage de Téhéran, un appel à la solidarité, ou même une petite note informative sur l'histoire ou la culture de l'Iran.
Je n'ai pas laissé tomber. Le mouvement ne s'est pas non plus "essoufflé" comme on peut le lire ou l'entendre sur certains médias occidentaux un peu trop prompts à relayer, le plus souvent sans s'en rendre compte, la propagande du régime.
Ce n'est pas non plus par manque de matière. Certes, plusieurs de mes contacts ont été convoqués pour interrogatoire par les forces de l'ordre, mais cela n'est pas allé très loin, et cela semblait relever plutôt de l'intimidation non ciblée.
Je continue donc à recevoir, via divers canaux plus ou moins sécurisés, des nouvelles du quotidien (pour les nouveaux, je rappelle que malgré le contenu en apparence relativement anodin de la plupart des témoignages que je partage, leurs auteurs - mes proches - s'exposent néanmoins à l'arrestation, la prison, et l'accusation d'espionnage et de collusion avec des puissances étrangères, simplement en me les faisant parvenir).
Non, mon silence n'est pas lié à ce qui se passe en Iran, mais à ce qui se passe en Occident.
Nous l'avions dit il y a plusieurs semaines déjà : tout est dit. Nous vous avons montré absolument tout ce que ce régime était capable de faire, nous vous avons expliqué que, même ainsi, il était encore capable de faire pire, que ce n'était qu'une question de temps. Et le temps nous donne, chaque jour, raison.
Nous avons appelé à l'aide, nous avons dit, sur tous les médias possibles "nous ne voulons pas de votre argent, même si le nôtre ne vaut plus rien, nous ne voulons pas de vos armes, même si nous affrontons la répression avec nos mains vides, nous ne voulons pas que vous veniez nous libérer, nous nous en chargeons nous-mêmes. Tout ce que nous vous demandons, c'est de cesser de légitimer ceux qui nous oppriment".
Nous avons cru un moment être entendus, mais la vérité, c'est que même si une partie des citoyens des pays du "monde libre", ceux qui sont d'origine iranienne mais aussi tous ceux qui ont compris que ce combat est au bénéfice de la justice, de l'égalité, de la solidarité et de la vie - de l'humanité, en somme - et pas une simple problématique politicienne locale... Bref, si une partie des citoyens a en effet décidé de donner de la voix, et d'aider notre message à passer auprès de leurs dirigeants, et bien, ces derniers sont fermement décidés à rester du coté des ronds de jambes, des effets de manche et des belles paroles, tout en continuant à traiter et à commercer avec la mafia sanguinaire qui nous tient lieu de gouvernement.
Avant-hier, sur la chaîne de France Info, un journaliste français, de son propre aveu autorisé à entrer sur le territoire iranien par le régime, en raison des festivités de son 44eme anniversaire, donnait la parole à un père de famille qui affirmait être venu défiler à la gloire du régime car il croit en l'avenir sous la République Islamique. Lors d'un autre segment, on voyait le même journaliste marcher dans une avenue, avec derrière lui, les gens auxquels le régime distribue des sandwichs et des jus de fruits avant de les tasser dans des bus pour les inciter/forcer à défiler, un drapeau à la main.
La République Islamique vous dit merci, de diffuser ainsi gratuitement sa propagande, tout en vous donnant la bonne conscience de "couvrir les événements en Iran". Elle vous dit merci de qualifier "d'essoufflement" la mobilisation, en ligne comme dans les rues, de la jeunesse forcée d'écrire ses appels à la manifestation sur des post-it parce que c'est trop dangereux d'imprimer des vrais flyers.
Sur cette même chaîne, le troisième segment sur l'Iran était la brève annonce de la libération de Fariba Adelkhah, otage franco iranienne qui purgeait une peine de cinq ans de prison.
Et puis c'est tout. Inutile de parler de l'appel national et général à manifester sur des parcours et à des horaires annoncés à l'avance (et donc encore plus risquer sa vie) le 16/02.
Inutile de mentionner les condamnés à mort, les commerces mis sous scellés, les journalistes nouvellement arrêtés, les perquisitions arbitraires, les accusations de viols (de manifestants) de plus en plus nombreuses et documentées, les pressions sur les familles à l'étranger, ni la gigantesque campagne de désinformation en ligne menée par la "cyber armée" du régime (division officielle et nommée ainsi) ou même le sort des codétenues de Fariba.
Tout cela n'intéresse certainement pas les Français. Ils préfèrent voir un type lambda, payé ou menacé pour prétendre qu'il soutient le régime, agiter un petit drapeau en scandant un slogan qui dit "le guide suprême est très gentil" (je n'invente pas).
Pendant que se déroulaient ces démonstrations d'auto-congratulation manipulées, forcées et même photoshoppées (parce que même avec les menaces et les sandwiches, ils n'arrivent plus à remplir les rues), des manifestations avaient également lieu à travers le monde, en soutien au soulèvement populaire contre le régime, cette fois.
La plus impressionnante, à Los Angeles, a rassemblé 180 000 personnes (estimation basse). Je n'ai pas les chiffres pour les autres villes, mais les photos et videos ne semblent pas avoir eu besoin de manipulation par Photoshop, et je peux confirmer personnellement qu'à Paris, nous étions très nombreux.
Mais ça non plus, ça n'intéresse pas les médias du monde libre...
Du coup, je me pose la même question que les militants d'Extinction Rebellion, qui avaient décidé d'accrocher un drapeau iranien paré du slogan "Femme Vie Liberté" en haut de la statue de la République, en soutien à la journée mondiale de manifestations contre le régime fasciste de la République Islamique. Pourquoi avoir fait enlever ce drapeau en moins d'une demie heure ?
Où était l'urgence, vraiment, au milieu de tout ce qui se passe, et avec tout ce qu'il y avait sûrement à anticiper, à la veille d'une journée de manifestations nationales (oui, ça tombait le même jour que la mobilisation contre la réforme des retraites, on a pas fait exprès, c'est Khomeini qui a commencé, en 1979), oui, où était l'urgence de faire disparaître ce signe symbolique de solidarité ?
Et puis tant qu'à poser des questions naïves... Que valent donc les déclarations de Yael Braun Pivet, Catherine Colonna, et même du Président de la République lui même, si elles ne sont pas suivies d'un véritable soutien ?
Ou alors, de quoi ont besoin les grands médias occidentaux pour s'emparer du scandale de l'incarcération massive de leurs collègues dans des conditions que de trop nombreux Iraniens sont malheureusement tous prêts à leur décrire ?
Et franchement, pourquoi envoyer du personnel pour décrocher un drapeau de soutien, la veille du jour où les proches de ceux qui donnent aujourd'hui leur vie dans le combat pour la liberté, prévoient de défiler dans les rues de Paris pour appeler à la solidarité ? (sachant qu'un drapeau Ukrainien est resté accroché plusieurs jours au même endroit, sans parler de diverses banderoles, l'histoire de la place de la République est riche).
30 minutes... C'est le temps qu'il aura fallu pour faire disparaître un drapeau.
Dans 30 ans, personne ne se souviendra de cette décision, qu'elle ait émané de la mairie, de Ministère de l'interieur ou même de l'Elysée.
Mais il est probable que le monde se souvienne, dans 30 ans et même davantage, du temps qu'il aura fallu, aux peuples mais surtout aux dirigeants du "monde libre" pour se tenir enfin du bon côté de l'Histoire (spoiler alert.... On sait déjà que ce sera plus de 30 minutes !)
Pour finir, je vous laisse admirer les images de ce joli geste de solidarité (qui n'aura pas été visible longtemps), ainsi que des moyens policiers mis en œuvre pour le faire disparaître. Merci à
Extinction Rebellion et Claire-Marine Damasse pour les photos, ainsi qu'à la citoyenne solidaire qui a eu la gentillesse de me les faire parvenir, et le collectif @thisis.arevolution, associé à cette action (et en charge de la couture du "gilet-drapeau, avec le slogan de la révolution en quatre langues).
Cliquez sur l'image ci-dessous pour voir la vidéo de l'action "Femme Vie Liberté"» Place de la République à Paris par Extinction Rebellion Ile-De-France.
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