Urgence Iran - Hassan Firouzi, le chat écrasé et le lait de la tendresse humaine
Est-il encore temps de dire « il faut sauver Hassan Firouzi » ?
Je l'avoue, au risque de déplaire au plus grand nombre, je ne suis pas une grande amie des animaux.
Je les respecte, parfois même je les admire, mais de loin, dans leur habitat naturel. Ou pour ceux qui n'en ont pas (les animaux domestiques qui "n'existent pas" dans la nature) dans un habitat distant.
J'ai eu un cochon d'Inde et un lapin, étant petite, et je les ai traités avec attention et affection, mais quand leurs vies de rongeurs ont pris fin, je ne me souviens pas qu'ils m'aient terriblement manqué. A l'âge adulte, fonder une famille m'a même amenée à partager mon toit avec des chats, à Paris comme à Téhéran. Nous là aussi avions des rapports cordiaux, mais sans plus.
Ces animaux étaient tous, pour moi, indéniablement "d'une autre espèce". Clairement pas des jouets, mais certainement pas mes semblables non plus. Je pensais parfois à leur "vraie famille". Je trouvais (je trouve toujours) totalement compréhensible que les chats griffent, que les chiens mordent, et que les hamsters refusent de se laisser caresser, parce que j'imaginais très bien la terreur que pouvait provoquer toute une vie sous le contrôle (même bienveillant) d'une autre espèce.
Cela ne signifie pas que je juge négativement les gens qui pensent autrement, et je vois bien que de nombreux "amis des animaux" ont une relation saine, affectueuse et profondément sincère avec leurs "compagnons à quatre pattes" (ou plus, ou moins, l'amour ne compte pas les pattes).
Tout ça pour dire que ce billet n'a aucunement pour but de minimiser l'horreur vécue par la jeune femme dans cette vidéo (oui, c'est BFM tv, mais que voulez vous, depuis que j'ai créé le compte "Sirinealkonost", je suis sur Twitter tout le temps, parce que c'est là que sont les messages du terrain, et je n'aurais sans doute pas entendu parler de cette histoire si Twitter ne me l'avait pas mise sous le nez), forcée de regarder son chat dans les yeux pendant que le TGV sous lequel il s'était caché après s'être échappé de sa cage, démarrait à la gare Montparnasse malgré les explications et les supplications de ses maîtres. Parce que ce n'était pas grave, ce n'était qu'un chat.
Mon propos n'est même pas de dire que cela ne méritait pas de passer à la télé, un chat écrasé. Parce qu'en fait ("je suis homme, et rien ne de ce qui est humain ne m'est étranger", comme dirait l'autre), je crois que ce "fait divers" en dit long sur l'humanité.
Mais je veux parler de l'horrible sentiment de déjà vu que j'ai eu, en regardant cette jeune femme raconter cet épisode traumatisant.
Parce que depuis ce matin, mon fil Twitter, il était surtout rempli du visage et de la voix de Hassan Firouzi.
Ce jeune père iranien avait déjà eu la grâce de certains médias occidentaux, il y a plusieurs semaines (mois ? Je ne sais plus, je n'ai pas le cœur de vérifier) , à cause d'un message vocal qui avait été diffusé sur les réseaux sociaux, suite à son arrestation.
Il y disait en substance "que je signe ou non (une confession forcée) ils me tueront, je ne demande qu'une chose, c'est de revoir ma fille une dernière fois.
Après 10 ans d'échec, Dieu nous a enfin donné un enfant, et je n'ai pu la voir que pendant 18 jours. Je vous en supplie, soyez ma voix, faites quelque chose pour que je puisse la revoir".
Ce message poignant, associé aux vidéos de Hassan câlinant le nourrisson avec une adoration palpable, avait suscité une émotion bien compréhensible, mais bon.
Que pouvait-on bien faire ?
Aujourd'hui nous apprenons que Hassan, soumis à des tortures à l'intensité croissante, est dans le coma, et que ses chances de se réveiller sont minces. Ses parents et sa femme ont été autorisés à le voir. Il est probable que le régime cherche à provoquer sa mort par arrêt cardiaque, à défaut de pouvoir l'exécuter (faute d'aveux).
Un autre message vocal a été diffusé, qui est soupçonné d'avoir fourni un prétexte à l'intensification des tortures.
Je l'ai traduit ce matin sur Facebook pour des soutiens francophones, pardonnez moi de vous le proposer sous forme de captures d'écran, je n'ai pas le courage de retaper ces mots là.
Parce que, voyez-vous, à la différence de mon lapin, de mon cochon d'Inde, des poissons rouges de mes parents, des chats de mes enfants ou de ce pauvre chat écrasé à la gare Montparnasse, Hassan est indéniablement "de mon espèce", et il me semble insoutenable de le regarder dans les yeux pendant que le TGV démarre.
Car le TGV démarre. Et nul ne l'arrête, parce que ce n'est pas si grave. Ce n'est que Hassan.
Je veux être bien claire sur un point.
Quand je dis que Hassan est de mon espèce, ce n'est pas parce qu'il est Iranien, ni parce que je peux m'identifier à l'amour qu'il porte à son enfant.
Je parle de l'espèce humaine. Avec le même respect que j'ai pour le chat qui mord la main qui le nourrit mais lui prend ses bébés, ou pour les poissons rouges que mes parents achetaient chaque année pour Nowrooz (je vous explique un autre jour, promis) et qui mouraient bien trop vite (je fête toujours Nowrooz avec mes enfants, mais nous avons des poissons rouges en céramique, façon trompe l'œil dans un bol rempli de résine).
Chacun, pour les siens. Et moi, mon truc, c'est les humains.
Je suis de la génération qui a grandi avec le souvenir du regard noir de la petite Omayra Sanchez, filmée et observée par le monde entier, heure après heure, incapable de la sauver, alors que la boue finissait de l'engloutir.
Sauf que là, la boue, c'est la République Islamique. L'IRGC. Le Guide Suprême. Le pouvoir.
Le TGV, ici, c'est un pouvoir qui s'emploie chaque jour à terroriser le peuple en emprisonnant des cuisiniers, des tailleurs de pierre, des mères célibataires, des journalistes, des acteurs et des actrices, des lycéen-nes, des étudiant-es, des éditeurs, des ouvriers du bâtiment, des avocats et des docteurs, et en tirant à vue sur tout ce qui a vaguement l'air baloutche.
Et nous regardons dans les yeux Hassan, dont la supplique résonne encore dans mes oreilles alors que je n'ai pu l'écouter qu'une fois, la nuit dernière.
Jusqu'où peut on accepter que "le pouvoir" justifie de se soustraire à l'humanité qui devrait tous nous définir?
Et puis quand même, ce pouvoir, ce sont des gens, pas de la boue, un tremblement de terre (au fait il y a eu un tremblement de terre hier ou avant hier, près d'Ouroumieh il me semble.
Comme quoi c'est pas parce que tout va mal que ça peut pas être pire) ou les quatre cavaliers de l'apocalypse. Ce sont des gens. Les gens, ont peut les arrêter. Il faut juste être plus fort qu'eux.
Et qui est plus fort que la République Islamique, ou l'IRGC (j'espère qu'à force de me lire vous aurez compris que ces deux mots sont quasiment synonymes)? L'union des grandes puissances du "monde libre" (j'assume les guillemets).
Et qui sont supposés représenter les dirigeants des grandes puissances du monde libre ? Le peuple. C'est à dire, les gens qui votent dans le monde libre.
Je ne parle pas de réclamer une intervention militaire occidentale en Iran. Quand bien même l'occident s'avèrerait plus fort (et on n'en sait rien), ce n'est pas la mort qui effraie ces gens là, bien au contraire. Ce que l'occident peut faire, c'est rendre illégal de faire du commerce avec quiconque est affilié de près ou de loin au régime, fermer leurs comptes en banque où l'argent des Iraniens fait des petits après avoir été volé et converti en dollars ou en euros, révoquer leurs visas et autres privilèges, bref, leur retirer le pouvoir et les ressources qu'ils ont acquis au prix du sang et des larmes du peuple iranien.
Cela, nos dirigeants le peuvent. S'ils ne le font pas, c'est qu'ils voient un plus grand intérêt, pour eux mêmes, à ne rien changer. Et tant que leurs peuples, leurs précieux électeurs / consommateurs se tairont, il n'y aura aucun risque pour eux à continuer de se comporter de la même manière, à savoir, condamner dignement en surface, et cautionner activement sous la table. Si leurs choix ne leur coûtent rien, en terme de politique intérieure, pourquoi changer un business qui rapporte ?
Je ne sais pas à quoi sert ce billet. Je devrais plutôt aller finir de traduire les quelques notes que j'ai finalement réussi à recevoir de Téhéran, mais je me suis autorisé cette parenthèse.
Si certains d'entre vous veulent s'employer à faire du bruit pour Hassan Firouzi, partout où le bruit peut être entendu, faites le pour vous, pour cette humanité qui, en chacun d'entre nous, est sans doute plus précieuse que tout ce que vous pourriez imaginer devoir un jour défendre.
Pour lui, pour sa famille, pour sa fille Hananeh qui ne se souviendra pas de son visage, il est sans doute trop tard.
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Jin, Jiyan, Azadi devise des féministes kurdes
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