Retour sur les deux nouvelles exécutions qui ont eu lieu aujourd'hui, avec une nouvelle perspective, et un regard dans le sinistre rétroviseur des bourreaux de la République Islamique.
Bonjour à tous,
J'ai plusieurs textes en provenance d'Iran dans les tuyaux, c'est à dire en cours de traduction et de mise en forme mais j'ai décidé d'adopter une autre perspective pour aujourd'hui: je vais parler pour moi-même.
Enfin plus exactement, j'ai décidé de tricher un peu, et de ne pas m'exprimer en tant qu'Iranienne qui voit de loin son peuple et ses proches sombrer dans un puits de violence et de silence de plus en plus profond et obscur.
Non, je voudrais oublier quelques minutes que ce sont les gens que j'aime qui vivent ce quotidien, que je parle cette langue, que je porte l'héritage comme les stigmates de ce pays, que j'y ai mon nom sur une boîte aux lettres et une parcelle réservée où y être, un jour, mise en terre.
Oublions tout cela. Aujourd'hui je suis comme vous. Une consommatrice occidentale de médias francophones (et anglophones, sinon ça devenait trop compliqué de trouver de quoi donner corps à cet article, j'avoue), et voilà, je me mets à votre place et je me dis, "que s'est il donc passé en Iran aujourd'hui ?" .
En Iran aujourd'hui, donc, deux nouveaux manifestants ont été exécutés.
Je suis à titre personnel fermement opposée à la peine de mort dans tous les cas, mais je crois que même des partisans de la peine de mort, et parmi ceux là, même des gens qui douteraient de l'innocence absolue de ces deux jeunes gens, ne pourraient pas accepter la légitimité de leur arrestation, de leur procès et de leur peine.
Les informations sont là, disponibles sur l'internet mondial, listées et vérifiées par diverses organisations indépendantes de défense des droits de l'homme et associations de juristes et avocats. Il suffit de creuser un peu. Même avec un anglais rudimentaire, on trouve.
Il est impossible d'être dans le camp du bien, et de comprendre, même à moitié, l'assassinat de ces deux jeunes hommes dont le seul crime avéré est d'avoir manifesté contre la République Islamique, aux cris de "Femme Vie Liberté".
Ces deux hommes ont été enlevés à leur vie et à leur famille, torturés physiquement et psychologiquement (et pour l'un d'eux, harcelé sexuellement) pour leur arracher des aveux (ils étaient accusés d'avoir tué un milicien). Ils ont été privés du droit de choisir un avocat pour les défendre, tout comme du droit de contester leurs condamnations.
L'un d'eux était un travailleur adulte d'origine très modeste, orphelin depuis son plus jeune âge.
L'autre était un tout jeune champion de karaté multimédaillé dont les parents ont diffusé une vidéo où ils supplient le gouvernement d'épargner leur enfant (cette vidéo avait été sous titrée en anglais et diffusée sur des chaînes occidentales).
Tous deux avaient été "parrainés" récemment par des parlementaires de plusieurs pays européens qui relayaient abondamment leur calvaire, et interpelaient bruyamment, sur les réseaux sociaux et par courriers directs, le gouvernement iranien tout comme leurs propres dirigeants, pour alerter sur et protester contre les conditions de leur condamnation. De nombreux artistes et auteurs avaient pris pour eux la plume et le crayon.
Tout cela, je l'ai vu et lu en anglais et en français (et même en italien et en allemand), sur Twitter, Instagram, Facebook, la presse en ligne et des émissions grand public comme "c'est dans l'air", "c'est ce soir", ou "quotidien".
Ce n'était pas en Une, en prime time ou en "trend", mais on pouvait trouver les infos, en cherchant un peu. Peut-être même juste en tapant "Iran" dans l'onglet "actualités" de Google. C'était là, disponible, depuis des semaines.
Et puis voilà, ce matin, ils étaient morts.
Le message du régime est clair: nous savons qu'ils sont innocents, nous savons que vous savez qu'ils sont innocents, nous savons que vous savez que nous savons qu'ils sont innocents.
Et nous les pendons quand même, parce que nous le pouvons.
C'est important cette idée, là : "nous pouvons le faire". Les gens du régime aiment l'employer. Je l'ai moi-même entendue plusieurs fois, dans ma jeunesse.
Mais je m'égare. On a dit que j'étais une lectrice française lambda aujourd'hui, alors je citerai plutôt le témoignage publié ce matin par le magazine l'Important (je crois, il faut que je vérifie. En tous cas c'était en français, sur twitter), où une femme iranienne résidant légalement en France se voyait menacée au téléphone par un agent de la RI, en raison de son implication dans les mouvements de soutien à la révolution, mais ici, en France. Quand la dame insiste qu'elle n'a rien fait de mal au regard du droit français, le type la menace de mettre son père, sa mère et sa sœur à Evin (alors qu'eux n'ont rien fait du tout) . Lui aussi, il le dit: "nous pouvons faire ça".
La République Islamique le dit et le répète: nous pendons les ouvriers et les athlètes, nous torturons les chanteurs et les journalistes, nous violons les bloggeuses et les lycéennes, nous emprisonnons les cuisiniers et les actrices, nous kidnappons les vivants comme les morts, parce que nous le pouvons.
Il n'y a pas d'autre lecture à faire de ce qui s'est passé aujourd'hui. La République Islamique ne négociera avec personne, elle ne réformera rien du tout et ne reculera sur aucun front.
Liberté d'expression, corruption, Hijab obligatoire, apartheid de genre, discrimination sociale, religieuse ou ethnique, implication politique, logistique, idéologique et financière dans des entreprises terroristes, obstruction à la justice, chantage au nucléaire, prises d'otage, il n'y a littéralement aucun de ces fronts qui ne laisse entrevoir la moindre lueur d'espoir.
Ce régime ferme toutes les portes et ne s'embarrasse même plus de discrétion. Il les claque.
Peut-être, alors, ayant compris cela, le lecteur occidental lambda sera-t-il plus réceptif à d'autres catégories d'informations, un peu moins "jetables" et instantanées, mais tout aussi aisément accessibles que celles que lui imposent ses médias globalisés et uniformes.
Par exemple, aujourd'hui, sur l'instagram de Marjane Satrapi, Iranienne, certes, mais clairement devenue "mainstream" et largement populaire en occident ou en tous cas en France depuis le succès de Persepolis (BD et film d'animation à la fois magnifiques et très accessibles), il y avait des extraits d'un film de 2014, "ceux qui ont dit non".
Ce film montre notamment des témoignages concernant les exécutions de masse de prisonniers politiques (principalement des Mudjahedin du peuple et des Communistes) sur ordre de l'ayatollah Khomeyni (premier Guide de la Révolution et donc prédécesseur de l'actuel Guide Suprême Ali Khamenei), vers la fin de la guerre contre l'Irak, en 1988.
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