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Photo du rédacteurSirine Alkonost

Voix d'Iran - De l'eau, de l'essence et du sang



Les trois prochains jours marquent le troisième anniversaire du « Aban sanglant » de 1398. Des appels à manifester ont été lancés dans tout le pays, y compris pour un rassemblement de plus grande envergure à Téhéran. Ce témoignage aborde les incertitudes, les inquiétudes et les espoirs des manifestants.

Le mois des eaux
Le calendrier persan est une très belle chose. Il est très ancien et a été recalculé et mis à jour pour la dernière fois par Omar Khayyam, (qui n'était pas seulement un très grand poète), il y a environ 1000 ans. Il a fait un si bon travail que depuis lors, aucune correction n'a dû lui être apportée.
Cela en fait sans doute le calendrier le plus précis dont disposent les humains. Il nous dit exactement où se trouve notre planète par rapport au soleil et à tout le reste du système solaire.
Et en plus, les mois, ils ont de très beaux noms poétiques. Celui-ci, le mois qui est sur le point de se terminer, il s'appelle "Aban". Cela signifie "les eaux", et c'est probablement parce qu'il doit normalement pleuvoir davantage ce mois-ci que le reste de l'année.
Il y a trois ans, en 1398 selon le calendrier persan, vers la fin du mois d'Aban, le gouvernement iranien a décidé de tripler le prix de l'essence, et croyez-le ou non, ils l'ont fait en secret. C'est à minuit, le soir du 24, que les automobilistes iraniens ont été confrontés à la réalité dans leurs stations-service.
Cette réalité n'était pas seulement le fait que le prix du carburant avait triplé. C'est que ce triplement avait eu lieu sous la forme d'une conspiration secrète contre le peuple iranien.
Le gouvernement s'était probablement dit qu'il n'y aurait pas grand monde au milieu de la nuit, que la plupart des gens dormaient, et que les automobilistes qui utilisaient leur voiture à ces heures tardives étaient somnolents et fatigués et tout, alors ils rempliraient simplement leur réservoirs et paieraient sans réfléchir, et ensuite, le matin, quand le reste des gens se réveilleraient, ils n'auraient plus qu'à s'en accommoder.
C'est ce que j'imagine, en tous cas. Sinon, peut-être qu'ils n'ont juste pas réfléchi. Peut-être qu'ils se sont juste dit : "Ok, on le fait à minuit !" et puis c'est tout.
Mais les automobilistes fatigués et endormis ont commencé à mettre le feu aux stations-service immédiatement après avoir vu les nouveaux prix, et le matin venu, c'était le chaos total.
Le gouvernement a alors éteint internet, puis il a mis des tireurs d'élite sur les toits, et ils ont commencé à tirer, et en quelques jours, environ 1600 personnes ont été abattues.
De lourdes peines de prison ont suivi, et des exécutions, et vous savez, tout le répertoire de leur orchestre de violence, et leur chœur de mensonges.
Mais ils ont réussi à éteindre l'incendie, finalement. Vous devez être au courant, de cette histoire, non ? Vous qui vivez dans un monde où vous avez littéralement accès à tout ce que vous voulez savoir...
Quoi qu'il en soit, pour faire court, demain, c'est l'anniversaire de ces événements, de ce mois d'Aban 1398, mois de la pluie et de l'eau, mais aussi de l'essence et du sang. Trois jours consécutifs de manifestations contre le régime sont prévus, avec des petits tracts à l'ancienne, parfois même écrits à la main, qui circulent partout pour palier l'instabilité d'internet.
C'est demain, mercredi et jeudi.
Nous ne pouvons pas savoir à quel point ces appels seront suivis d'effets. Il y a toujours ce sentiment d'incertitude, avant ce genre de rassemblement. Parfois, cela se transforme en un événement énorme et massif, et parfois ce ne sont que quelques personnes.
Parfois aussi, ce sont des rassemblements spontanés, sans tracts ni organisation, comme hier soir, lorsque les gens se sont rassemblés devant l'hôpital « Dey ».
Ils se sont réunis pour exprimer leurs inquiétudes au sujet d'une des figures emblématiques de la révolution, Hossein Ronaghi.
Et même juste un regroupement spontané, pour soutenir un malade, c'était suffisant pour que les forces de l'ordre balancent des gaz lacrymogènes, et tirent quelques balles, mais bon, c'est devenu habituel.
L'hôpital porte le nom d'un mois du calendrier Persan, d'ailleurs. Le mois d'hiver de Dey, tire son nom de la Divinité zoroastrienne, que vous, les occidentaux, connaissez sous le nom de "Deus" ou "Dio". Vous l'avez peut-être connu aussi, il y a plus longtemps, sous le nom de Zeus. Je parie que vous ne le saviez pas, ça!
Bref, les gens pensent que Hossein Ronaghi est détenu dans cet hôpital Dey, après avoir été torturé et battu presque à mort.
Nous savons que ses deux jambes ont été cassées presque immédiatement après son incarcération et que d'autres lourdes blessures lui ont été infligées par la suite.
Mais surtout, jour après jour, son état général s'est aggravé, au point que d'autres prisonniers politiques (dont le cinéaste Panahi) ont utilisé leurs rares occasions de communiquer avec l'extérieur pour alerter le public précisément sur ce sujet : "Hossein Ronaghi va mal, il va mourir".
Cela fait des jours que les réseaux sociaux tremblent de cette rumeur "son cœur pourrait lâcher à tout moment" au point qu'il a du être hospitalisé, donc, de peur qu'il ne meure, et qu'alors le régime doive gérer les conséquences terribles de son décès.
N'est-ce pas paradoxal ? Pourquoi torturent-ils Hossein, s'ils craignent les conséquences ? Et =comme si cela ne suffisait pas, ils ont aussi émis la première ordonnance du tribunal en vue de l'exécution d'un manifestant.
Ils s'agit d'un jeune homme du nom de Mahan Sedarat.
Ils vont exécuter ce jeune homme sur la base de deux "plaintes privées"
(note de la traductrice: n'ayant pas de formation en droit, je ne sais pas si c'est le bon terme juridique). En gros, cela signifie que deux personnes ont porté plainte contre lui.
Qui sont ces deux personnes ? Une personne qui faisait partie des assaillants de l'ambassade d'Arabie saoudite à Téhéran, et un religieux, qui s'est présenté sans ses vêtements de religieux dans cette affaire judiciaire, c'est à dire qu'il se présente comme un "citoyen normal".
Encore un paradoxe. Pourquoi cacher le fait que vous exécutez cet homme parce qu'il était un manifestant, si vous voulez que les gens pensent et sachent que les manifestants seront exécutés - Pendus avec un nœud coulant- et si vous pensez que c'est l'objectif légitime de la procédure judiciaire ?
Cela aurait-il quelque chose à voir avec la façon dont les occidentaux voient les choses ?

Serait-ce parce que vous, les peuples du monde libre, ne seriez autorisés, en tant que journalistes ou chercheurs, à vous référer qu'à des faits « officiels » ?
Le régime fait il semblant, juste pour vous, le public occidental, de ne pas être directement responsable de cette Terreur ?
Je veux dire aux lecteurs de ce blog que la république islamique a probablement usé toutes les astuces qu'elle a dans ses livres, s'agissant de réprimer ou d'étouffer les manifestations. Je ne parle pas seulement de la violence habituelle et des confrontations physiques, aussi violentes ou subtiles soient-elles.
Je parle des "Trucs" et "Illusions" de communicants, des choses comme les opérations sous fausse bannière ("flagship opérations", à savoir des actions menées par le pouvoir, mais maquillées en action de ses ennemis), comme il semble que le fût l'attentat de Shahcheragh, où plus simplement, toutes les fausses attaques et dégradations (par les forces de l'ordre) imputées aux manifestants.
Je parle aussi des piratages téléphoniques, des vrais ou faux scandales, des détournements, des interventions, des stratégies pour induire la peur, répandre des mensonges, tricher sur les dates, reculer les horloges, des trucs comme ça.
D'après mon expérience, il ne leur reste pratiquement plus rien. Je veux dire pendant mes 43 ans d'expérience de la république islamique, j'ai vu pas mal de trucs, et pendant ces deux derniers mois, ils ont épuisé toute la liste.
Donc, à partir de maintenant, je pense qu'il n'y aura plus rien de nouveau, et ils ne feront probablement que répéter de vieux trucs. Et ces vieux trucs, ce sont comme des gags de soirée ou de la magie de salon. Une fois que vous avez vu ce qui se cache derrière le rideau, la "magie" perd de son effet.
C'est le peuple iranien, en lutte pour sa liberté, qui détient la vraie magie. De vraies choses magiques se sont produites. Comme quand nous avons vu les femmes d'Iran gagner en quelques jours tout le respect et la reconnaissance qui leur étaient dus, et pourtant refusés depuis des années.
Une dette très ancienne a commencé d'être payée. Et si vous êtes une femme, vous savez probablement à quel point il est difficile de récupérer ce genre de dettes. Cela relève, je vous le dis, de la vraie magie.
Au fait, le saviez-vous... Le mot "magie" vient du mot mage, et le mot mage, il vient du mot « Mogh », qui décrit un ancien prêtre zoroastrien ou serviteur de Mithra.
Ce sont ces mages de l'antiquité qui ont créé le tout premier calendrier persan. Et tandis que pour beaucoup, les choses qu'ils faisaient semblaient magiques, nous savons aujourd'hui que pour eux, ce n'était que de la science.
La science est la plus puissante des magies, la vérité est le plus puissant des leviers. Elle finira par triompher.
En attendant, nos vies comptent... et pendant les trois prochains jours, elles seront plus en danger encore. Tenez vous avec nous, du bon côté de l'Histoire.
Soyez notre voix.

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