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Photo du rédacteurSirine Alkonost

Voix d'Iran : faut-il danser au pied des potences ?


Tant qu'il y aura des pieds, il y aura de la danse. Tant qu'il y aura des gorges, il y aura des chants, et comme l'a dit notre poète Molana «vous pouvez casser tous les instruments de musique, mais vous ne pouvez pas étouffer tous les rouges-gorges ».



Le monde est petit, et le monde est grand
J'ai entendu parler des deux événements auxquels nous avons été en quelque sorte "invités", à Paris, ce mois ci.
La soirée organisée par Mediapart au 104, le 6/12 (note de la traductrice : la comédienne Mina Kavani y a lu plusieurs extraits de témoignages pris sur ce blog. La soirée est visible en vidéo sur le site de Mediapart), et celle organisée par le collectif Barâyé au Trianon, le 12/12 (note de la traductrice : lors de cette soirée, qui regroupait de très nombreux artistes internationaux, un bon nombre de textes écrits ou traduits par moi sur ce blog ont été lus sur scène ou en voix off par plusieurs auteurs, vous pouvez en avoir un aperçu en cliquant sur mon Facebook ou mon Instagram, d'autre part, cette soirée a été filmée par France 2 pour une diffusion ultérieure.)
Il y a de plus en plus de voix qui s'élèvent à travers le monde pour soutenir les Iraniens qui se battent pour la liberté.
Lorsque vous prenez la responsabilité de faire quelque chose depuis l'extérieur de l'Iran, vous courez forcément le risque d'être critiqué, ici en Iran, comme quelqu'un qui abuserait de la liberté dont il dispose, à des fins contraires à l'éthique.
Il y a quelques jours, j'ai lu quelque part « Certaines personnes ont déjà revêtu les habits de ministres et de juges, et attendent de venir en Iran pour prendre le relais de la République Islamique ».
Ce genre d'attitude est très courant ici, hélas. Certaines personnes sont même offensées par la danse et la musique, et en particulier si des boissons alcoolisées ou de la bonne cuisine sont proposées. On les entend alors dire : « Ils se saoulent et se goinfrent et dansent, tandis que nous saignons pour la liberté ».
Dans un sens, ils ont peut-être raison, je comprends que cela puisse choquer, mais nous ne devons pas oublier que si nous saignons, si nous nous battons, c'est justement pour que chez nous aussi, n'importe qui, et j'insiste bien : n'importe qui, puisse être autorisé à danser, à manger, et à boire de l'alcool s'il le désire - de manière responsable bien sûr.
Enfin je veux dire, personne ne devrait conduire après avoir bu, ce genre de choses, quoi.

Sinon, en ce qui me concerne, allez-y, buvez autant que vous voudrez et dansez comme des fous ! Mais quand même, n'oubliez pas de protéger votre foie. Il n'y a aucune fierté à pouvoir boire sans modération, malgré ce qu'en pensent de nombreux Iraniens (peut-on vraiment leur en vouloir, après quatre décennies de prohibition ?)
Mais je m'égare... Le but de ce message était de dire quelques mots de remerciements à ceux qui ont eu la gentillesse et le courage de lire nos mots devant un public, même sans savoir vraiment qui nous sommes.
Il faut une forme particulière de bonté et de bienveillance pour lire sur scène les mots d'un auteur anonyme.
Alors, merci à vous tous, qui avez fait cela, et merci à tous ceux qui sont venus écouter et à tous ceux qui ont rendu ces événements possibles.
Bien sûr, comme je l'ai mentionné à plusieurs reprises ces dernières semaines, chacun de nous ne parle que pour lui-même quand il ou elle s'exprime sur ce blog.
Je ne suis le représentant de personne, à part moi-même. Néanmoins, je suis une personne, et je vis à l'intérieur de l'Iran, et je ressens une pression considérable, pour diverses raisons.
Je vis les nombreux niveaux d'oppression, que ce soit dans mes expériences en tant que citoyen normal dans les rues de Téhéran, dans ma vie professionnelle ou dans tous les autres aspects de ma vie.
Bref, je pense qu'il n'est pas abusif d'affirmer que je suis de facto, un échantillon représentatif et que, tout comme je vous remercie pour votre solidarité, de nombreux autres Iraniens, ici en Iran, feraient de même si on leur en donnait l'occasion.
Nous le savons, les Iraniens qui ne sont pas ici vivent leurs propres difficultés.
L'angoisse d'être absent, et de ne pouvoir rentrer chez soi, c'est insupportable, par exemple.
Certains des expatriés iraniens que je remercie maintenant, sont vraiment partis contre leur propre gré. Ils sont partis parce qu'il leur était impossible de continuer à faire absolument quoi que ce soit d'utile ici en Iran.
D'autres sont partis, parce qu'ils pensaient peut-être que « l'Iran ne sera jamais réparé » ou que "Ce pays ne sera jamais guéri".
J'ai entendu ces phrases au moins une fois par semaine au cours des 40 dernières années. Nous avons eu des vagues d'émigration, à chaque repère historique. La révolution de 79, la guerre contre l'Irak, la vague verte de 2009, etc. C'est une phrase qui traverse les époques, que peut-être même nos grands-mères et nos arrière-grands-parents ont également prononcée, lorsqu'ils ont connu lors de la révolution constitutionnelle, il y a un siècle, où encore en 1953 …
Alors, peut-être qu'aujourd'hui, maintenant qu'il y a une résistance sérieuse et un combat pour la liberté, avec de la cohérence et des objectifs sensés, ils sentent qu'il y a enfin de l'espoir, ou ils sentent qu'il est de leur responsabilité morale d'agir.
Je les remercie aussi. Je remercie tous ceux qui nous aident. Mais aussi, ceux qui auraient pu rester en Iran, et avaient les moyens de faire des choses utiles ici en Iran parce que je sais bien que l'Iran vous manque aussi, tout comme vous lui manquez.
L'Iran manque à ses enfants, et ses enfants lui manquent, c'est la vérité la plus pure à laquelle je puisse penser. Le reste est juste... secondaire.
Et je remercie tous ceux qui ne sont même pas des expatriés. Ceux qui ne sont jamais allés en Iran, ceux qui ne savaient rien de nous, même ceux qui croyaient, il y a quelques mois encore, que nous étions des Iranais. Je les remercie de créer ces liens, d'apprendre à nous connaître pour être de meilleurs alliés, de devenir finalement, des amis.
Donc, en réponse et en remerciement à tout ce que vous avez fait, je voudrais partager avec vous deux proverbes persans, mais sans doute universel:
quand on se sent profondément déprimé, perdu et sans espoir, il est toujours bon d'entendre une voix chaleureuse nous dire que "le monde est grand". Ou comme certains préfèrent dire : "Dieu est grand".
Cela signifie qu'il y a toujours des choses au-delà de ce que nous pouvons voir. Il y a toujours de l'espoir, caché quelque part, inattendu.
Et en effet, le monde est grand. Le monde est grand, beau et merveilleux, et c'est pourquoi nous nous battons pour lui.
Nous aimons le monde, et nous voyons à quel point la vie est précieuse, et c'est pourquoi nous nous battons pour elle.
En définitive, si l'on se bat, c'est parce que "le monde est grand"
Et le deuxième c'est : "le monde est petit", car même s'il y a des milliards de personnes qui vivent sur la planète, nous sommes tous une grande famille, nous sommes tous liés.
Nous utilisons ce proverbe, comme le savent tous les iraniens qui me lisent, lorsque nous croisons quelqu'un que nous connaissons à l'improviste, dans un café ou dans un aéroport.

On s'exclame : "Qu'est-ce que TU fais ici ?!" et devant notre surprise, l'autre répondra : "Le monde est petit!".
C'est pour cela que nous avons besoin de la paix : parce que le monde est petit.
Que cela serve d'avertissement à ceux qui pensent qu'ils peuvent commettre des crimes contre nos frères et nos sœurs, et s'en tirer comme ça.
Le monde est trop petit pour que vous puissiez vous cacher, et le monde est trop grand pour que vous puissiez le posséder.
Tant qu'il y aura des pieds, il y aura de la danse. Tant qu'il y aura des gorges, il y aura des chants, et comme l'a dit notre poète Molana - Excusez mes faibles capacités de traduction - "vous pouvez casser tous les instruments de musique, mais vous ne pouvez pas étouffer tous les rouges-gorges".
====================== Note de la traductrice : En parlant d'étouffer tous les rouges-gorges, je ne peux prendre congé sans rappeler que les vies des manifestants condamnés à mort sont toujours en danger, et que la solidarité internationale importe plus que jamais. Des parlementaires suédois et allemands ont pris l'initiative de parrainer des prisonniers, et de porter leurs voix dans les médias occidentaux. Il n'y a pas de mots pour "parrainer" en persan, et dans mes conversations avec mes proches, certains ont parlé d'adoption, d'autres de jumelage. Dans tous les cas, il s'agit de créer des liens, et c'est exactement ce dont le peuple d'Iran a besoin.
Pas des armes, pas des dollars, pas des mercenaires ou des gouvernements en exil, du lien. Et il est à la portée de chacun d'entre nous de créer des liens. Contre l'obscurité et le silence,
Nos vies comptent. Soyez notre voix.

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