Cette révolution est un véritable catalogue de symboles, foisonnant de créativité et de références universelles, et elle est portée par un réservoir inépuisable de jeunesse, qui tiendra tête aux vieillards qui lui font face, armés de leur seule violence, et qui ne défendent que leur propre existence, sous le masque d'une culture sclérosée et rance, dans laquelle plus personne ne se reconnaît.
En ce tout dernier jour de 2022, mon accès à Internet est devenu plus limité qu'il ne l'a jamais été (hors black out).
Le seul moyen de communication qui continue de fonctionner est l'email.
Et même par email, les images et les fichiers volumineux ne sont pas évidents à télécharger, ou à faire circuler.
Au cours des derniers jours, avant que nous ne finissions par nous résigner à cette situation, nous devions parcourir pratiquement tous les serveurs de chacun de nos VPN, jusqu'à ce que l'un d'entre eux fonctionne. Un jour c'était la Suède, un autre jour c'était la Grande-Bretagne, ou le Portugal ou l'Argentine, jusqu'à ce qu'ils arrêtent tous de fonctionner.
Aucun des protocoles et aucun bridge ou P2P ne fonctionne. Certains VPN fonctionnent toujours sur certains téléphones, mais cela semble relever de l'aléatoire le plus complet. J'ai renoncé à comprendre.
La vague de grippe et de COVID recule, mais pas la pollution - du coup tout le monde a l'air malade quand même. La situation me rappelle des scénarios post-apocalyptiques où la technologie est devenue inutile. Nous sommes sur le point de revenir aux disques vinyles et aux cassettes.
Certaines personnes diraient sûrement que c'est un mal pour un bien, car les disques vinyles sonnent mieux que les fichiers numériques, mais d'une part, cela est contesté, d'autre part, si vous pouvez nous envoyer des aiguilles neuves pour nos platines vinyles, là on pourra discuter.
Certains d'entre vous se demandent peut-être, mais qu'est-ce qui ne va pas avec les CD audio ? Eh bien, déjà, ni les disques ni les lecteurs ne sont très fiables, et ensuite, c'est vrai... certaines personnes sont occupées à essayer de faire revivre leurs anciens lecteurs CD abandonnés
En règle générale, il semble que tout le monde a compris qu'il ne sert à rien, ces jours ci, d'investir dans un smartphone ou un ordinateur ou quoi que ce soit qui pourrait être s'avérer quasiment inutile sans Internet.
J'ai entendu dire, quand même, que d'ici la fin de cette semaine, Starlink serait disponible sur le marché noir.
Le même type à qui vous commandez votre récepteur satellite ou votre whisky, (ou les deux), pourra vous le livrer.
Mais Starlink est cher. C'est 600 dollars, et en Iran, c'est l'équivalent d'un mois de salaire pour un employé bien payé et très chanceux, pour peu qu'il n'ait pas perdu son emploi.
Il se dit que Starlink offre aux Iraniens et aux Ukrainiens, qui sont plus ou moins les lépreux de l'humanité moderne, un accès gratuit à Internet, si tant est que nous achetions cet appareil, qui ressemble d'ailleurs au genre de chose que vous pourriez voir dans un film de zombies.
C'est comme une petite antenne parabolique rectangulaire, attachée à un modem. Ça a l'air tout simple. Une fois que j'en aurai vu un, je vous ferai savoir si tout cela est vrai. Mais d'ici là, j'avoue que je n'ai trouvé aucune référence fiable pour étayer l'une ou l'autre des rumeurs qui circulent au sujet de Starlink.
C'était pareil, dans le temps avec le même genre de rumeurs avant la Betamax, puis la VHS, puis les récepteurs satellite analogiques, puis le satellite numérique. Et à chaque fois, ils étaient toujours très chers, et très élémentaires, et puis ils sont devenus moins chers, et plus simples à installer et à utiliser, et la République Islamique a toujours menacé de représailles quiconque en posséderait.
Nous avons toujours été prévenus: quiconque ferait l'acquisition de ces nouveaux équipements serait condamné et poursuivi, et ses biens seraient confisqués. Ils ont même formé des forces spéciales pour faire face à ces infractions, et ils ont fait venir du matériel depuis Cuba, paraît-il, dans le but de bloquer les signaux satellites.
Et puis au bout du compte, malgré tous ces efforts et ces grands mots, ils ont toujours décidé à un moment donné, que la technologie était devenue si répandue, et que le marché était si lucratif, qu'il valait mieux prendre pour eux-mêmes le contrôle du flux, des ventes et tout ça.
C'est là une autre qualité intéressante de la République islamique. La République islamique est très versée dans l'art de la contrebande et de la vente des technologies qu'elle a elle-même rendu illégales, en plus de participer à la production de contenu et d'avoir une place officielle pour elle-même sur toutes les plateformes possibles (et elles aussi illégales), allant de tous les satellites existants à Instagram et Twitter, où le Suprême Le chef et le président et tous leurs hommes de main ont leurs comptes officiels, souvent dans plusieurs langues.
Donc, fondamentalement, ils illégalisent la technologie, puis ils la font passer en contrebande et la vendent eux-mêmes sur le marché noir, puis ils produisent également leurs propres contenus, et ils sont largement investis à tous les niveaux.
C'est comme ça que ça marche.
Je ne vois pas pourquoi Starlink serait différent. Nous verrons bien. Si jamais j'en vois un de mes propres yeux, alors je vous en parlerai à nouveau.
En attendant, je peux vous dire que les protestations citoyennes, les manifestations, les vagues d'arrestations et tout ça n'ont pas cessé. Les choses se sont ralenties, de manière significative, je dirais, mais cela ne s'est pas arrêté. Tout le monde est conscient depuis un moment que le régime espère nous avoir "à l'usure", alors nous n'avons pas peur d'un ralentissement, ou de nous poser un moment pour reprendre notre souffle. Ce serait une erreur de prendre cela pour du découragement ou de la résignation.
Nous, nous reprenons des forces pour continuer le combat, mais le régime, lui, s'éparpille et s'agite.
La valeur du rial est en chute libre et ils impriment de la monnaie et l'injectent dans le système comme des conducteurs de machine à vapeur pelletant frénétiquement du charbon dans les flammes.
Certaines personnes commencent à retirer de l'argent de leur banque, car leur argent fond comme de la glace dans cette machine à vapeur.
La plupart des gens essaient de transformer leur argent en or, en dollars américains ou en euros, autant que possible. Pour ceux qui, comme moi, n'ont pas beaucoup d'argent, eh bien.... on regarde.
L'avantage d'être pauvre, c'est que ce n'est pas votre argent que vous regardez fondre.
Aujourd'hui une manifestation est prévue au grand Bazar de Téhéran, notamment pour protester contre la vie chère, et plus globalement pour exiger, encore et toujours, la chute du régime.
Mais en règle générale, il n'y a plus vraiment besoin d'appels ou d'invitations. Le gouvernement produit chaque jour suffisamment de martyrs pour qu'il ne soit plus nécessaire de planifier quoi que ce soit.
Les enterrements et cérémonies de deuil sont devenus des rassemblements révolutionnaires par défaut, au point que le régime panique et kidnappe tous les cadavres qui lui semblent avoir "du potentiel". Le dernier dont j'aie entendu parler, c'était un jeune appelé du contingent, dont la mère implore le régime de lui rendre le corps de son enfant dans une vidéo poignante et un brin surréaliste. Finalement, en l'absence de cadavre, la foule en colère s'est réunie et a organisé quand même la cérémonie: ils ont enterré son uniforme vide.
Le peuple d'Iran a toujours eu une puissance poétique de premier ordre. Aujourd'hui, sa jeunesse combine cette puissance poétique avec une pulsion de vie que rien ne semble pouvoir ébranler.
Cette révolution est un véritable catalogue de symboles, foisonnant de créativité et de références universelles, et elle est portée par un réservoir inépuisable de jeunesse, qui tiendra tête aux vieillards qui lui font face, armés de leur seule violence, et qui ne défendent que leur propre existence, sous le masque d'une culture sclérosée et rance, dans laquelle plus personne ne se reconnaît.
Nous vaincrons. Ils vaincront. Cette jeunesse vaincra. C'est mathématique. Physiologique presque. Mais à quel prix ? Pour chacun de nos enfants sacrifié à leur violence aveugle, mille autres sont prêts à prendre la relève. Mais combien de fois mille encore ? Pendant combien de semaines, de mois, d'années, allons nous devoir offrir chaque jour notre jeunesse en sacrifice, sur l'autel de l'espoir et de la vie ?
L'avenir de notre révolution, de notre liberté, de notre pays, est entre les mains de notre jeunesse, c'est pourquoi je n'ai aucun doute sur l'issue de ce combat. Cette jeunesse mourra plutôt que de renoncer. Et nous savons déjà que la génération de Mohsen et Majidreza (note de la traductrice: jeunes hommes de 23 ans, exécutés) est activement et quotidiennement portée et soutenue par celle de Nika et Sarina (ndlt: jeunes filles de 16 et 17 ans, battues à mort). Nous savons aussi que la génération de Kian, Mona et Soha (ndlt: enfants de 8 à 12 ans, tués par balles) est prête à prendre le relais - ces enfants là ont payé le prix de la révolte avant même d'avoir eu le temps de prendre les armes.
Et après eux viennent leurs petits frères, et aussi les enfants, les bébés parfois, de ceux que nous enterrons chaque jour.
Cette source ne tarira pas... Mais combien de temps encore la terre d'Iran devra-t-elle continuer de boire le sang de ses jeunes ?
Ce régime tueur d'enfant et empoisonneur d'avenir doit prendre fin, et tous ceux qui peuvent jouer le moindre rôle dans ce projet devraient en faire une priorité.
Notre combat n'a pas de frontière, de couleur, de religion ou de nationalité. C'est le combat des femmes contre la violence de genre, le combat de la vie, contre la culture de la mort, et le combat de la liberté, contre les puissants qui nous oppriment.
Pensez-y au moment de trinquer à un avenir meilleur, quand minuit sonnera aux horloges du monde libre.
En attendant portez-vous bien, prenez soin de ceux qui vous aiment, et revenez l'année prochaine !
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Jin, Jiyan, Azadi devise des féministes kurdes
Femme Vie Liberté
Soutien à la révolution iranienne en cours
Zan, Zendegi, Azadi cri de la révolution iranienne
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