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Photo du rédacteurSirine Alkonost

Voix d'Iran : la censure, la prison et l'odeur de la pluie


Zéro contact internet avec mes proches aujourd'hui, ce n'est pas très étonnant, il y a toujours des coupures massives les jours où la mobilisation est forte. Je partage donc ce témoignage qui date de quelques jours. Il fait suite à celui du 01/12 « qui Allumera la première Lampe ? ». Il fait aussi écho à l'actualité française, très préoccupée de la question migratoire...


L'idée d'émigration m'a toujours hanté.
Être obligé de quitter mon propre pays ne m'a jamais tenté, même si j'ai toujours aimé voir et faire l'expérience d'autres pays et d'autres cultures.
Pourtant il y a quelque chose d'extrêmement inspirant à être parmi des étrangers, à apprendre leur langue, à jouer à leurs jeux et à les accompagner dans leurs rituels - à apprendre d'eux, en somme.
J'aime la façon dont on découvre de petits secrets sur les cultures des autres pays, quand on y vit réellement, au moins pour un temps.
C'est juste que je ne peux pas accepter l'idée de partir "par inconfort" , c'est à dire, de m'exiler parce que c'est devenu trop inconfortable de vivre ici (certains traduiraient peut-être "inconfortable" par "dangereux", j'imagine que c'est une question de degré de tolérance à l'inconfort...) .
Ce serait beaucoup trop "inconfortable" moralement pour moi si j'acceptais de quitter l'Iran pour des "raisons de confort", ou de danger physique. J'ai toujours préféré l'inconfort physique à l'inconfort moral. Je crois que j'ai toujours pensé que le confort est une illusion. Le confort est quelque chose qu'aucun animal n'a jamais eu, y compris les humains. Nous ne sommes pas vraiment faits pour être à l'aise. Ce n'est certainement pas le but principal de la vie, si tant est qu'il y ait un but.
Mais je ne blâme évidemment pas ceux qui partent parce qu'ils veulent une vie confortable, ou de la sécurité et un avenir pour leurs enfants.
Leur choix est bien plus compréhensible que le mien, je pense. Bien sûr, ils vont devoir travailler dur. Et tout leur sera plus difficile parce qu'ils seront dans un pays étranger, mais c'est une bonne chose que travailler dur ait un sens. Ici, en Iran, le travail acharné ne rapporte pas grand-chose.
(Je sais, je sais ! Le travail acharné ne paie pas toujours, chez vous non plus. Mais au moins, vous pouvez prendre une bière dans un bar quand vous êtes fatigué, n'est-ce pas ? Ou vous pouvez vous promener en jupe si vous avez décidé de le faire. Ou aller à un rendez-vous galant- si tant est que vous plaisiez à quelqu'un. Et puis vous n'avez pas besoin de dépenser un an de salaire pour un smartphone de base.)
Bref, émigrer est bien trop difficile pour moi, mais je comprends ceux qui font ce choix, et plus la situation en Iran empire, plus je comprends leur choix. J'ai eu ma part de voyages, quand mes ressources me le permettaient encore (aujourd'hui l'argent iranien ne permet plus vraiment d'acheter des billets d'avion pour faire du tourisme... Et de toutes façons, personne ne nous donne de visas), je sais qu'ils trouveront, ailleurs, la "vie normale " devenue impossible ici.
Récemment, de nombreux écrivains et traducteurs iraniens ont décidé de publier leur travail « sans censure ». Cela signifie qu'ils ne seront pas payés pour le travail qu'ils font, car publier votre propre livre ou même votre traduction d'un livre étranger, que ce soit en ligne ou en librairie, mais sans passer par le ministère de « l'orientation et de la culture », c'est ne pas en attendre d'argent.
Donc, encore une fois, la liberté a un prix. Ne pas être censuré a un prix.
Outre le fait qu'ils ne seront pas payés, et que leurs livres pourront être saisis, ils peuvent être condamnés à des peines de prison pour avoir publié des documents illicites. Et il en faut peu pour rendre votre livre "illicite". Par exemple, la consommation d'alcool est illégale même dans les livres, ici en Iran. Les contenus sexuels de toutes sortes sont interdits, même les plus timides. Il faut écrire "torse" au lieu de "poitrine" par exemple, ou "boisson" au lieu de "whisky" .
Bien sûr, ce n'est qu'une infime partie de la censure. Cela prend parfois des proportions incroyablement ridicules, franchement ça mériterait un livre (mais il serait censuré !) .
Tout est très inconfortable ici. C'est tellement inconfortable que beaucoup de gens ne voient plus la différence entre une cellule de prison et leur propre maison.
S'il n'en était pas ainsi, personne ne prendrait le risque d'affronter ces génies qui se considèrent comme le peuple élu de Dieu. On attendrait juste qu'ils meurent si on pouvait. Mais une autre caractéristique de ces gens, c'est qu'ils vivent très longtemps.
Oui. Il semblerait que se nourrir des libertés des autres, ait le pouvoir d'allonger la vie.
Et peu importe à quel point nous essayons, nous ne pouvons tout simplement pas nous adapter à leur culture. Leur culture est très inconfortable pour nous. Alors, que pouvons-nous faire?
Nous avions déjà accepté que nos vies soient gâchées, c'était comme condition préalable à la naissance ici en Iran. Mais les gaspiller encore plus, avoir à cacher son corps, et à garder sa bouche fermée, et être insulté et humilié ... On ne peut plus continuer comme ça. C'est impossible de continuer comme ça.
Et j'ai beau réfléchir à la façon dont quelqu'un pourrait nous aider de l'extérieur (parce que beaucoup de gens demandent, toujours), je ne peux rien trouver de plus que ce que j'ai déjà dit dans les précédents messages: vous pouvez fermer vos ambassades. Vous pouvez expulser les Iraniens qui mènent une vie luxueuse dans vos pays, trempant leur pain dans le sang et les larmes des autres, et vous pouvez "être nos voix" en exigeant de vos médias qu'ils tournent vers nous leurs projecteurs capricieux et impatients.
Je ne parviens pas à trouver autre chose qui pourrait réellement nous aider. Et comme je l'écrivais dans mon précédent message, ceux qui comprendront cela en premier, ils allumeront "la première lampe" . Ils commenceront le processus et donneront confiance aux autres pour allumer des lampes en leur propre nom.
Le peuple iranien se sent pris en otage par une meute de monstres insensés. C'est la pure et simple vérité. Le peuple iranien a le sentiment que personne ne se soucie de lui. Nous avons littéralement l'impression que tout le monde s'en fout et qu'il n'y a que des mots vides de sens lancés par des politiciens qui ont compris que c'était bon pour leur image de porter les couleurs d'une révolution qui dit "Femme, Vie, Liberté".
Bien sûr, ce n'est pas rien, quand par exemple, une chorale d'enfants français chantent la chanson "Baraayé". Cela signifie quelque chose. Et vous pourriez être surpris de la différence qu'il y a pour nous, entre "rien" et "quelque chose". C'est vraiment "quelque chose" quand on voit des gens se soucier de nous. C'est "réconfortant", dans une période comme celle-ci, où rien n'est confortable.
Mais personnellement, je pense que je considérerais comme un jour spécial dans ma vie, le jour où un pays occidental dirait officiellement : « Nous allons fermer votre ambassade, et votre personnel doit quitter notre pays, car votre gouvernement tue des enfants. Parce que votre gouvernement tue des enfants par exécution, et dans les rues, et parce que vous violez des femmes et des hommes, et parce que vous avez assassiné la liberté d'expression pendant des années… ».
Quel pays sera le premier à le faire ? Qui allumera cette première lampe ?
Pensez-y, le nom de ce pays restera dans l'histoire comme celui qui a mené la révolution des femmes, parmi toutes les nations. Le nom de ce pays sera écrit en or dans l'histoire de la révolution des femmes. Pas seulement des femmes d'Iran, ou du peuple d'Iran. Mais bien la révolution des opprimés et des sans-droits, contre les puissants qui les oppriment.
Et les pays qui les suivront reconnaîtront les vérités auxquelles ils veulent eux-mêmes croire. Les dirigeants qui feront ce choix montreront ainsi, au monde entier et à leurs propres peuples en premier lieu, qu'ils savent de quel côté se trouvent le droit, la liberté et la justice, et qu'ils n'adhèrent pas à une vision du pouvoir qui repose sur la capacité d'oppression.
Je me demande qui allumera cette première lampe, sur la scène internationale.
Dans les rues d'Iran, il y a des hommes et des femmes courageux, qui se lèvent et allument leur propre petite lampe ici et là. Ils brûlent les banderoles qui nous rappellent le discours fasciste de ce gouvernement. Ils mettent leurs poings en l'air et crient.
A chaque fois, ça commence de la même façon : il y a une personne courageuse qui allume la première lampe. A chaque fois, il y a cette fille, qui monte en haut d'un poteau électrique, et fait de son voile oppressif un drapeau de libération. Où il y a cet homme qui poste ce premier message.
Il y a ces écrivains, traducteurs, directeurs de théâtre, acteurs, n'importe qui, une femme ou un homme qui se décide et qui établit une nouvelle norme.
Et quand elle ou il le fait, à partir de ce moment-là, à partir de ce jour-là, notre monde change encore un peu plus.
Nous savons ce que nous devons faire.
Chacun fait un pas en avant, depuis là où il se tient, chaque fois qu'une petite lampe est allumée comme ça, dans son coin par juste une personne ou un groupe de personnes.
De mon point de vue, les personnes qui ont tant souffert, pour avoir fait ces premiers pas vers notre liberté, méritent de voir que nous ne nous arrêtons pas, que nous continuons, à faire à chaque fois "un pas en avant", même si eux ont trébuché, sur un fusil, une matraque, ou la porte d'une cellule.
J'écris souvent sur les prisonniers, parce que je sais ce que l'on ressent là-dedans.
Là-dedans, il y a ces jours très rares où il pleut. Nous avons très peu de pluie, ici en Iran.
Quand il pleut, ça se sent. vous pouvez sentir les feuilles d'automne ou l'air frais qui devient humide, chargé de quelque chose qui ressemble à un parfum.
Dans ces moments, vous pouvez sentir l'extérieur. L'extérieur est là. Vous pouvez le toucher: les jours de pluie, on se sent presque libre.
Je pense à eux, qui sont en prison, chaque fois qu'il pleut. La pluie est comme un message. C'est comme si vous et moi le savions. C'est comme si nous partagions ensemble un petit secret et cela nous donne de l'espoir.







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