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Voix d'Iran : la liberté, de Paris à Téhéran.

Photo du rédacteur: Sirine AlkonostSirine Alkonost
Un court message de Téhéran, sur l'idée de Liberté, et un discours plus long, mais précieux, de l'avocate Chirinne Ardakani, lors du rassemblement tenu hier à Paris contre les exécutions de manifestants. Deux lectures urgentes, à partager avec tous ceux qui refusent de se résigner.



Téhéran, 23 mai 2023:

Ceux qui risquent tout, ici, ceux qui risquent leur vie, leur santé et leurs biens en descendant dans les rues, n'ont pas toujours un diplôme en sciences politiques. Ils n'ont pas tous lu des livres.

Bien sûr, les étudiants sont très actifs, bien sûr, les médecins et les avocats sont parfois en première ligne, mais le plus souvent, si vous questionnez l'un de ceux qui s'exposent aussi dangereusement sur les places, les ponts ou les avenues, vous apprendrez que c'est un jeune commerçant ou un mécanicien, ou un gamin qui cumule les petits jobs et "se débrouille".

Et si vous creusez un peu, vous constaterez que ces gens, malgré tout ce qu'ils traversent, n'ont jamais même essayé de chercher dans Wikipédia, pour voir si le mot « Liberté » signifie réellement quelque chose. Ou ce que signifient les mots "Démocratie", ou "Gouvernement constitutionnel" ou "République".

Et j'ai aussi, souvent, remarqué que les gens ont tendance à négliger les "droits des minorités", ou qu'ils n'ont pas non plus réellement entendu parler de "pluralisme" ou même de "diversité", d'ailleurs.

Oui, c'est vrai que souvent ces gens ne sont pas au courant de ces choses. Mais toutes ces idées sont nées de réalités dont ils font l'expérience au quotidien. Alors, oui, peut-être que ce serait bien s'ils savaient tous une chose ou deux sur les sciences politiques, ou du moins si ils savaient tous comment vérifier des sources. Mais bon, d'un autre côté, quand on voit ce que font les gens qui savent toutes ces choses...

La liberté n'est pas une pluie qui tombe sur les gens, ni une fée qui touche votre épaule si vous êtes assez chanceux, ou assez blanc, ou assez hétéro. La liberté n'est pas un bijou que vous trouvez dans le sable. La liberté est un manque. C'est un manque que les gens ressentent. Ou plutôt, on pourrait dire que c'est l'absence de ce manque. Son comblement.
Les êtres humains ressentent le manque de quelque chose, et quand ils ressentent ce manque, ils se chargent d'y générer autre chose. Un vide est toujours destiné à être comblé.

La liberté est donc une condition, générée par ceux qui ont besoin d'en faire l'expérience.
Par définition, la liberté est le fait de disposer de sa propre personne. C'est, techniquement le potentiel de chacun à décider de son propre sort.

Je dis que la liberté est un potentiel, parce que c'est tout ce que la liberté peut fournir. La liberté fournit du potentiel, rien de plus. Le reste dépendra d'autres choses. La façon dont nous l'utilisons décidera de ce potentiel. Comment nous l'utilisons, tout simplement, c'est ce qui décidera de ce que seront les prochains potentiels, et le futur dont nous pouvons nous autoriser à rêver.

Et c'est exactement mon propos ici. Car je voudrais interroger ceux qui vivent dans le monde libre, et qui connaissent une chose ou deux sur la politique. J'aimerais demander aux gens qui sont allés dans de bonnes écoles et qui ont obtenu de bonnes notes, ce qui se passe quand vous ignorez le potentiel?

Plus de 40 ans passés à vivre, (ou techniquement, à mourir), dans les limites de la république islamique, m'ont appris quelques leçons. Une de ces leçons est celle-ci : "La liberté est générée au cœur de la société."

Ceux d'entre vous qui ont été mieux éduqués que moi le savent tous - Le potentiel, c'est ça qui compte.

Paris, 24 mai 2023:

Ce manque, qui définit fondamentalement la société iranienne, nous sommes nombreux à vouloir le pallier, nous sommes nombreux, iraniens de l'étranger et citoyens solidaires du monde libre, à vouloir mettre notre liberté au service de ce combat. Face à l'emballement meurtrier du régime, qui exécute à tour de bras prisonniers de droit commun et manifestants condamnés à la suite de simulacres de procès émaillés d'aveux forcés arrachés sous les pires tortures, nous mettons tout en oeuvre pour faire entendre la voix du peuple iranien en lutte, et réclamer que soit entendu, à travers le monde libre, les cris que la République Islamique emploie ses moyens les plus violents à bâillonner: "Femme, Vie, Liberté!", "ne les laissez pas nous tuer!", "à bas le régime tueur d'enfants!"

Nous avons voulu manifester devant l'ambassade de la République Islamique, parce que la vérité importe, et la vérité, c'est que ce régime fasciste, qui impose au peuple iranien un apartheid religieux, ethnique et sexuel, qui pratique la violence d'état, la diplomatie des otages, et institutionnalise le terrorisme à l'échelle internationale tout en réprimant toute forme de liberté d'expression dispose malgré tout cela d'une représentation officielle dans la capitale de notre pays pourtant si fier de se poser, sur la scène internationale en champion des droits de l'homme, garant de l'héritage des lumières et du rayonnement de la civilisation. Nous souhaitions que les images de notre mobilisation traduisent cette réalité et questionne notre responsabilité collective.

Nous n'y avons pas été autorisés.

On pourrait nous rétorquer que nous faisons les difficiles, que l'alternative qui nous a été proposée (au métro Iéna) n'est pas si loin, que notre manifestation n'a pas été interdite, simplement déplacée, mais le vrai problème n'est pas dans les quelques mètres de distance, il est dans le choix officiel qui a été fait, par les autorités de notre pays. Le choix de privilégier le confort du régime qui nous oppresse, et son exigence de sauver, encore et toujours, et au mépris de la réalité, les apparences, plutôt que de laisser résonner, par notre intermédiaire, l'appel au secours de ses victimes.

Que ce soit à nous de nous adapter aux exigences de cette dictature, ici-même sur le sol français et sous la protection de nos institutions démocratiques, c'est comme un nouveau bâillon sur le visage de notre révolution, et un message tragique adressé à la jeunesse qui risque tout dans les rues, aux prisonniers politiques qui endurent les pires tortures, et aux familles des condamnés à mort qui tremblent à chaque fois que retentit l'appel à la prière du matin, devenu synonyme d'annonce de nouvelles exécutions.

Je laisse la parole ci-dessous à l'une des intervenantes de ce rassemblement "déplacé" par la République Française, Chirinne Ardakani, avocate du barreau à la cour et membre de l'association, dont le discours puissant porte notre engagement commun, Lisez, partagez, réagissez - Soyons leur voix!

« Il a été pendu ce matin à l’aube un nègre coupable d’avoir franchi la ligne », nous dit Léon-Gontran Damas, le résistant.
Saeed Yaghoubi, Majid Kazemi et Saleh Mirhashemi ont franchi la ligne.

Ils ont battu le pavé.

Pour cette raison, ils ont été exécutés, peu avant l’appel à la prière, pour avoir « corrompu la Terre » ont dit leurs bourreaux.

Dans leurs derniers instants, ils imploraient à l’aide.

« Ne les laissez pas nous tuer »

C’est le message griffonné sur un bout de papier.

Il était intercepté, à la volée, par huit iraniennes, puissantes.

Depuis les murs de la prison d’Evin, elles le propageaient à l’adresse du Monde : « Nous prisonnières politiques d’Evin condamnons les exécutions commises par les despotes et exigeons leur fin immédiate »

Nous demandons à la communauté internationale et aux médias du monde d’exercer un maximum de pression à l’encontre de la république islamique afin que cessent ces crimes d’état. »

Cet écho n’a pas suffi et jamais nous n’oublierons le cri de leurs mères éplorées.

« L’heure n’est pas au deuil mais à la colère » lit-on sur les murs de Téhéran.

La colère, ce Samedi, dans la cour de la prison, où les femmes d’Evin, encore, refusaient d’intégrer leurs cellules pour dénoncer les crimes de l’Etat tortionnaire.

Quelques semaines auparavant, en grève de la faim, elles exigeaient la libération de tous les prisonniers politiques et la fin des tortures en détention.

Ces femmes, que rien n’arrête, s’appellent Narges, Sepideh, Golrokh.

Partout où nous serons nous dirons leurs noms. Elles sont prisonnières politiques, militantes syndicalistes, féministes, abolitionnistes.

Elles partagent une cellule et une lutte.

Elles se battent contre la peine de mort, contre le travail forcé des enfants, contre la lapidation et le mariage forcé, et contre l’extinction de Pirouz, le guépard iranien.

Nargus Mohammadi, Sepideh Qolian, Golrokh Iraee, nous dirons leurs noms jusqu’à ce que leurs geôliers soient las de les entendre.

Car ces femmes sont le cauchemar de la république islamique. Elles sont notre fierté, car au milieu de l’horreur, elles nous montrent un chemin.

Leurs actes de résistance, héroïques, parviennent aux yeux et aux oreilles du Monde, qui les regarde et les admire.

Battues, torturées, humiliées, depuis leurs cachots, elles affirment leur prise sur le monde.

Au printemps, Sepideh a fait parvenir une lettre « Je ne participerai à aucun procès pipé, ni à leurs tribunaux sur commandes tant que les tyrans sanguinaires ne seront pas renversés (…) ».

Prenez-garde, Tyrans et Bourreaux, comme Narges, comme Sepideh, aussi petits que nous soyons, partout, nous serons un caillou dans votre chaussure.

Partout où nous irons, nous dirons au monde libre : considérez le quartier des femmes, car là est la force.

Misez sur les femmes d’Evin, car c’est là, que se trouve le bastion de la résistance et des luttes.

Et si la corde prend les corps, et bien nous ferons vivre les idées.

Dans ce combat de Titans, nous ne serons pas seuls.

Nous avons besoin de toutes les forces progressistes et démocratiques coagulées.

Aux élus, de l’Assemblée Nationale, de la Ville de Paris, qui nous font l’amitié d’être là, nous vous en savons gré.

Nous avons besoin de vous.

De vous, nous attendons une chose, clamez où vous pourrez, que la France se compromet toutes les fois où elle transige sur ses valeurs.

Répétez-le à l’envie : « une vie vaut une vie » et aucun marchandage criminel n’est possible sur le cours de la vie humaine.

Dites à nos diplomates, que nous citoyens, nous refusons de choisir entre nos compatriotes français et nos compatriotes iraniens, car tous sont otages du régime criminel de Téhéran.

Nos compatriotes Cecile Kohler, Jacques Paris, Louis Arnaud, et tous les autres, doivent nous revenir, et sans condition, parce ce que c’est ce qui est juste.

Parce que leur arrestation et leur captivité est une opération de rapt criminelle.

Parce qu’il n’existe aucune justification à la détention arbitraire et à l’extorsion, d’où qu’elle vienne.

Dites à ceux qui nous gouvernent, qu’un régime qui rançonne une vie humaine ne peut être qu’un État criminel de sorte qu’on ne puisse rien attendre, ni espérer de lui.

Autant de fois que cela sera nécessaire, souvenez-vous en car aucun autre récit n’est possible : le régime des mollahs, est un ordre violent, cruel, et sadique.

Le régime des mollahs ne respecte ni la communauté des vivants, ni celle des morts.

Il tue, il extorque, il rançonne,

Il pend, il viole, il menace et persécute les minorités, ethnique, de genre, confessionnelles.

Par la loi patriarcale, il asservit les femmes et utilise les enfants.

La nuit tombée, il profane les tombes, il pille les corps.

Il empêche les familles de faire leur deuil.

Il vole les mémoires.

Mollahs et gardiens de la révolution ne sont ni fréquentables, ni bankable.

Ils sont le passé. Ils sont du mauvais côté de l’histoire.

Nous avons le devoir moral et éthique de les combattre politiquement.

Aux militants des droits humains, aux citoyens engagés dans cette lutte. Nous voulons dire ceci.

Il ne tient qu’à nous de déferler. Et si personne ne nous entend, faisons en sorte d’être entendus.

Prenons l’espace. Prenons de la place.

Dans les associations, dans les partis, dans les syndicats.

Dans les moindres recoins, notre devise universelle devra fuser : « femme, vie, liberté ».

Un mot enfin pour les tyrans, puisque pas à pas, et mètre par mètre, nous nous approchons de vous.

Il viendra un jour, Messieurs, où vous ne pourrez plus vous retrancher derrières vos grilles.
Ce jour-là, vous rendrez compte devant l’histoire et devant la justice.

Ce jour-là viendra bien assez tôt, car pour Majid, pour Saeed et pour Saleh, nous y travaillons tous les jours.

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Outre ce discours, le rassemblement a été l'occasion de plusieurs autres prises de parole, je propose ici une liste des personnalités présentes sur la tribune:

Maryse Artiguelong, ligue des droits de l'Homme

Vincent Nioré, vice-bâtonnier de l'ordre du barreau de Paris

Hirbod Dehghani-Azar, avocat du barreau de Paris (association "Iran Justice")

Karim Lahidji, avocat iranien ("ligue iranienne de défense des droits de l'Homme en Iran")

Darya Djavahery-Farsi, (association "Neda d'Iran")

Valérie Rabault, vice présidente de l'Assemblée Nationale

Jérôme Guedj, député

Marine Tondelier, conseillère régionale

Philippe Bouriachi, conseiller régional

Mathilde Panot, députée
Eric Coquerel, député

Alma Dufour, députée

Léo Walter, député

Geneviève Garrigos, conseillère de Paris

François Béchieau, maire-adjoint

Jean-Claude Samouiller (Amnesty International)

Le rassemblement a eu lieu à l'appel et avec le soutien des associations Neda d'Iran, Iran Justice, Queers and Feminists for Iran, Azadi 4 Iran, Amnesty International, Ensemble contre la peine de mort, Ligue iranienne de défense des droits de l'homme, We Are Iranian Students, rejointes sur place par de nombreux autres collectifs et associations, des militants anonymes ou plus connus de la diaspora iranienne et de la société civile française. Les photographies illustrant cet article ont été prises par Hossein Hajizadeh Siboni.

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