Le témoignage d'aujourd'hui développe la notion d'Holocauste Culturel, et en particulier l'emprise du régime sur le marché de l'édition. C'est une part fondamentale du combat du peuple iranien pour sa liberté, car sans liberté d'expression, il n'y a pas d'avenir possible pour notre révolution.
Les forces de l'ordre ont «mis sous scellés» la librairie-vitrine de la maison d'édition Cheshmeh, sur l'avenue Karimkhan, à Téhéran.
Ils l'ont fait au motif que le magasin avait procédé à une fermeture pour "gestion des stocks" précisément les jours où il y avait un appel national à la grève générale. Ils n'ont pas apprécié la pirouette.
D'abord, ils ont peint à la bombe quelques mots sur la façade de la librairie, en rouge, pour qu'il n'y ait aucune erreur possible: d'un côté de la porte «Ne gérez plus jamais vos stocks en plein milieu du mois » et de l'autre : « Mort au traître ».
Et ensuite, ils sont repassés pour "sceller" l'entrée.
Donc, en gros, ils ont fermé un magasin... parce qu'il avait fermé.
Cheshmeh (mot Persan qui signifie "Source") est l'une des maisons d'édition les plus renommées d'Iran.
Ils ont déjà été agressés à plusieurs reprises par la République islamique. Ils publient de nombreux types de livres différents, venant de partout dans le monde, et représentant toutes les tendances littéraires et politiques.
Cet éditeur a commencé petit, quelques temps après la révolution de 1979, et il n'a pas cessé de croître jusqu'à devenir l'un des acteurs majeurs de sa branche.
Bien sûr, Cheshmeh a eu des problèmes avec le régime auparavant, mais il n'y avait jamais eu une telle agression de type fasciste à son égard.
Cette fois, ils ont "plombé" le magasin (note de la traductrice : en Persan, c'est ce verbe, phonétiquement transcrit du français, qui est utilisé pour décrire l'action de mettre un établissement sous scellés) et ont recouvert sa façade de menaces tracées à la bombe de peinture.
C'est à peu de choses près ce que les nazis faisaient avec les commerces tenus par des juifs. Et pourquoi ils ont fait ça ? Parce que les gens, chez Cheshmeh, publient des livres pertinents - et qu'ils ont des clients.
J'ai déjà évoqué sur ce blog la "guerre contre la culture", et nous avons été plusieurs à nous employer à exposer pour vous la nature fasciste de ce régime (note de la traductrice : par exemple ici) .
Je crois même que j'avais déjà évoqué quelque part la notion d'Holocauste Culturel. Eh bien, voici un exemple.
Cette attaque contre Cheshmeh devrait être marquée dans l'histoire de l'Iran (ou même l'histoire de l'édition à travers le monde) comme une avancée de l'Holocauste Culturel.
Inutile de dire qu'il y a actuellement dans les prisons iraniennes, beaucoup de personnalités qui ont une forme ou une autre d'affiliation ou d'expertise culturelle.
L'un des exemple les plus récents, c'est Taraneh Alidoosti, actrice de premier plan (notamment premier rôle du film oscarisé "Le Client", et actuellement à l'affiche dans "Leila et ses frères") qui avait enlevé son voile sur son compte Instagram il y a quelques semaines, en brandissant une pancarte avec le slogan "femme vie liberté" en langue Kurde. Elle vient d'être arrêtée suite à un autre post instagram, où elle protestait cette fois contre l'exécution de Mohsen Shekari.
On peut aussi se souvenir ici de Baktash Abtin, poète et cinéaste décédé du COVID à la prison d'Evine, il y a environ deux ans, alors que les autorités lui refusaient l'accès aux soins médicaux. Il avait été condamné à 7 ans de prison et travaux forcés pour "propagande contre l'état".
Avez vous étudié comment l'holocauste s'est produit en Europe, avec la transition progressive vers les chambres à gaz et les charniers ? Eh bien, ce n'était pas si progressif que ça, quand on y pense. Cela a été rapide et en quelques mois seulement, des millions de personnes ont été touchées.
La république islamique a toujours poursuivi en priorité un objectif très important pour elle: s'assurer de supprimer partout et à tout moment, l'idée même que ce régime pourrait être renversé. Et tout ce qu'ils font, c'est pour servir cet objectif.
Depuis l'arrivée au pouvoir des âkhounds, la chute de leur régime a toujours été une possibilité. Ils ont toujours eu à se soucier de cette question. Cela n'a jamais cessé au cours des 43 dernières années. Et leur but a toujours été de supprimer la possibilité même de formuler cette idée, de réduire au silence le moindre embryon de menace.
Et comme vous l'avez peut-être déjà deviné, un certain nombre d'éditeurs, d'écrivains et de traducteurs faisaient et font partie de ces embryons de menace.
Ils doivent donc être supprimés pour que la République islamique puisse vivre. Les méthodes de suppression varient. Les personnes peuvent être éliminées physiquement, mais cela s'avère parfois risqué. Souvent, il est plus facile de les diffamer, avec une forme ou une autre de scandale. Pour ce qui concerne les auteurs, il est parfois plus logique de frapper leur éditeur. Après tout, s'attaquer à un éditeur, c'est faire d'une pierre deux coups ou même davantage.
Mais tout cela avait déjà été essayé (j'ai évoqué plusieurs fois le fait que le régime est à court de nouveaux "trucs", et qu'à ce stade, ils recyclent). Ils ont essayé tout cela dans les années 1980, puis dans les années 1990 et à un moment donné, il nous a semblé que la République islamique avait compris que cela ne fonctionnait pas.
Depuis un bon moment, il nous semblait qu'ils étaient passés aux méthodes économiques.
Comme si ils avaient compris que la meilleure façon de procéder, pour éliminer cette menace sans fin, était de s'assurer que les alliés du régime s'enrichissent et que son opposition devienne pauvre.
Mais alors comment la publication de Cheshmeh a-t-elle pu prospérer, me direz-vous? Eh bien, le fait est que les Iraniens préfèrent les livres bons et chers aux mauvais livres, même bon marché.
Les éditeurs privés ne bénéficient pas des subventions accordées aux maisons d'édition publiques. Leurs livres sont donc souvent plus chers. Mais des livres plus chers, cela signifie aussi plus de chiffre. Tout le monde profite d'un livre vendu plus cher, et il ne faudrait pas oublier que la majorité des lecteurs, même s'il lui est de plus en plus difficile de se payer de bons livres, n'en a que faire des mauvais livres, même s'ils sont moins chers.
Quoi qu'il en soit, le régime islamique a atteint un point où n'importe quel mouvement, dans n'importe quelle direction, lui sera préjudiciable.
La vérité, c'est que ce régime, comme tous les régimes fascistes, n'a cessé de s'employer à changer tout le monde, au lieu d'évoluer lui-même.
Et c'est ça l'holocauste culturel.
On pourrait le définir comme une entreprise d’État, destinée à changer l'identité du peuple iranien. C'est d'ailleurs pourquoi il y a tant de violence. Il y a toujours plus de violence lorsque la fracture est culturelle plutôt que simplement politique.
Mais les fondations culturelles de cette nation s'avèrent solides, elles soutiennent l'assaut . Notre culture ne se laisse pas faire.
Nous nous sommes toujours posé la question, de savoir si oui ou non notre squelette culturel pouvait survivre à tant de pression. Ce régime réussirait-il à faire oublier aux Iraniens qui ils sont ?
Le jour où j'ai vu la mère de Jina "Mahsa" Amini accueillir la foule sur la tombe de sa fille en criant "réveille toi Jina, tu as de la visite ! ", et la puissance de l'épitaphe sur sa pierre tombale de fortune... je me suis dit, si une femme, à cet endroit, peut faire ça, dans ces circonstances, alors oui, le squelette est beaucoup plus solide qu'on ne le pense.
Ceux que je vous propose aujourd'hui sont, à nouveau, du héros-poète de cette révolution, Mohammad-Reza Shafiei Kadkani:
Au moment de rouler au sol,
Sous l'orage de grêle du petit matin,
cette feuille,
d'une voix sourde
et précipitée
disait, avec le vent:
Longue vie, la vie!
Mort, à la mort !
Mort, à la mort !
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Jin, Jiyan, Azadi devise des féministes kurdes
Femme Vie Liberté
Soutien à la révolution iranienne en cours
Zan, Zendegi, Azadi cri de la révolution iranienne
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