Voix d'Iran : la vérité ou la vitrine

Quelques explications sur la stratégie de la République Islamique quant à l'utilisation d'internet et la communication à destination de l'étranger. Un peu dans l'urgence car demain peut être, les véritables «Voix d'Iran » pourraient bien ne plus porter jusqu'à nous.

La République islamique se soucie de sa propre image. Cela peut sembler étrange, mais il est manifeste qu'ils tiennent vraiment à être présentables. Ils aiment faire des vidéos et des articles sur la beauté de l'Iran, et ils aiment prétendre que tout est normal et que tout va parfaitement bien.

Bien sûr, depuis la mort de Mahsa, presque tous les touristes encore assez courageux pour se rendre en Iran ont annulé leur voyage.

Vous souvenez-vous de l'Espagnol qui voulait marcher jusqu'au Qatar et qui avait été arrêté en Iran ? La coupe du monde est terminée, et Dieu sait ce qui lui est arrivé, finalement.

Les signaux d'alarme ne manquent pas.

Pour la République Islamique, la question est donc : comment continuer à être la République Islamique (nous avons déjà établi que ces gens ne veulent absolument pas changer) tout en sauvant quand même les apparences ?

Ils ont une solution pour ça. Elle porte un nom français, un mot qu'on utilise souvent, et en temps normal, ça veut juste dire la même chose qu'en français, à savoir : " Vitrine ".

La république islamique a développé un certain savoir-faire en matière de construction de vitrines. Ils sont bons pour aligner les jolies filles et ils s'accommodent aussi très bien des femmes qui n'ont absolument pas de hijab, si c'est dans leur intérêt.

Les vitrines, vous pouvez les voir dans les aéroports, dans les hôtels, sur YouTube, sous forme de vidéos montrant des images de l'Iran, son artisanat, sa culture, son industrie et ses commerces. Où alors elles parlent de nourriture et de gastronomie, et bien sûr, la plupart du temps, ces vidéos évitent de dire quoi que ce soit au sujet des choses interdites, comme le chant des femmes ou l'alcool.

Vous pouvez trouver ces vidéos presque n'importe où, et elles sont suggérées par Youtube aux internautes sans méfiance qui croient avoir affaire à un contenu honnête.

Et tout cela, il est tout à fait certain que quelqu'un a payé pour, avec un compte bancaire non iranien bien sûr (YouTube n'est pas légal en Iran, et les cartes iraniennes ne sont pas reliées au réseau bancaire international) .

L'un des Youtubeurs les plus connus dont la véritable allégeance à la République islamique a été révélée lors de la Coupe du monde, était M. Taster, le passionné de cuisine, dont la mère a également été vue en train de feindre ou simplement d'exprimer sincèrement son amour pour le guide suprême, dans une interview télévisée.

M. Taster lui-même peut être vu dans un stade de football, entièrement recouvert du drapeau et des couleurs de la République islamique, aux côtés de sa femme.

Les vitrines de la République islamique sont très coûteuses et des millions sont injectés dans ce marché. Mais ces millions n'ont pas seulement pour but de rendre le pays "plus beau" ou "plus présentable".

Elles font partie de ce que nous appelons maintenant la "dépolitisation". Pour faire simple, disons que le régime s'est rendu compte que la musique, ou les films ou même la nourriture, pouvaient être dangereux, s'ils devenaient des objets de débats politiques et des outils de protestation.

Donc, la réponse à cela est d'embaucher des gens qui ont des looks, des musiques, des mélodies très similaires, si vous voulez, et qui parfois semblent même avoir leurs propres opinions, mais en réalité, ils feront n'importe quoi plutôt que d'être un tant soit peu politique.

Leur tâche est d'éloigner les foules de la politique et de créer une belle vitrine pour la république islamique, afin que le régime puisse continuer ses vilaines affaires en paix, en arrière-plan.

La dépolitisation est un enjeu majeur. Mais je ne pense pas que cette simple note puisse en couvrir tous les aspects.

Imaginez simplement que vous ayez un rappeur préféré, qui chante sur la liberté, ou pour la liberté, comme Toomaj, qui attend en ce moment même sa condamnation à mort. Et puis, soudain, un chanteur apparaît, qui a le même aspect, et a une voix similaire, une coupe de cheveux et une barbe similaires, et il a à peu près le même son, mais il chante sur des bateaux, ou sur un amour vaguement impossible. La république islamique aime noyer les voix des artistes grâce à ce genre de méthodes. Dans certains cas, ils ont très bien réussi.

En arrière-plan, pour les aider, se trouve la Cyber-Armée, ou les "Cyberi" comme on les appelle. Il s'agit d'une génération de jeunes choisis principalement dans des zones plus ou moins pauvres, pour être formés et utilisés dans la cyber-armée de la République islamique.

Ils sont choisis parce qu'ils se sont montrés prometteurs, en mathématiques ou en informatique.

Ils ont été formés et certains d'entre eux ont réussi à atteindre un certain niveau de capacité. Certains ne pouvaient pas faire grand-chose. Mais en général, ces gens sont bien nourris, pour ainsi dire, et leur boulot en échange est d'être présent, dans le cyberespace, de toutes les manières possibles.

L'un des domaines dans lesquels ils travaillent activement est bien sûr les fausses nouvelles, ou "fake news". Les fausses nouvelles sont peut-être le pire type de fange que vous puissiez trouver sur Internet.

Normalement, les fausses informations sont souvent utilisées pour gagner de l'argent, comme alternative à la publicité et dans le but de détruire la réputation de quelqu'un ou d'une entreprise. Mais ici, en Iran, les fausses nouvelles sont un outil puissant entre les mains des cyberis qui s'en servent pour créer un brouillard et rendre plus difficile d'aller au fond des choses. Ils l'utilisent également pour réduire l'impact des choses, comme la mort d'une personne connue.

Dans de nombreux cas, ils annoncent le décès d'une personne plusieurs fois avant qu'il ne se produise réellement.

Ils incluent souvent des blagues et des commentaires désobligeants, tels que "Mohammad Reza Shajarian, le grand chanteur iranien, est encore mort ce matin. Les autorités ont prévenu, s'il meurt une fois de plus, ils le tueront."

Les exécutions qui ont lieu en ce moment sont souvent accompagnées de telles fausses nouvelles.

Elles sont douloureuses évidemment, et il est très difficile de ne jamais tomber dans le panneau. Même les personnes les plus rigoureuses se sont laissées prendre au moins une ou deux fois.

Ils utilisent les chartes graphiques et des logos d'agences de presse célèbres comme Reuters ou la BBC, et souvent vous les recevez de quelqu'un en qui vous avez confiance, car ils sont tombés dans le panneau aussi.

La République islamique aime démystifier les vérités, en utilisant ces ruses. Ils fournissent des téléphones et des cartes SIM avec des pouvoirs spéciaux à leurs cyberis, et certains d'entre eux sont équipés de nombreux téléphones, afin qu'ils puissent créer de faux comptes et qu'ils puissent se connecter et vous troller vous et moi, ou n'importe qui d'autre.

Mais pour nous Iraniens, ou du moins ceux d'entre nous qui ont un peu d'expérience, ils sont souvent très reconnaissables. Ils remplissent le cyberespace de littérature très identifiable, disons, et leur style est souvent un bon indice, pour peu qu'ils utilisent l'anglais.

Je ne sais pas comment décrire ça, mais souvent les étrangers pensent que leur anglais est comme ça parce qu'ils sont Iraniens, mais en fait il est différent. Je suppose que leur anglais vient du type d'écoles dans lesquelles ils l'ont appris. Si vous êtes intéressé par le type d'anglais dont je parle, consultez les documents "PressTV".

PressTV, c'est le mégaphone international de la République islamique. C'est la réponse qu'ils ont décidé de donner, devant le succès des chaînes internationales de différents pays, comme France24, ou NHK, cette chaîne japonaise. Vous voulez voir la vermine de la terre, en anglais ? Allez voir!

Parfois, les gens du régime iranien réussissent à tromper ou à convaincre certains étrangers, qui ont des chaînes ou des pages populaires, dans le cyberespace.

Vous pouvez trouver quelques occasions où quelqu'un d'Europe ou d'ailleurs met une vidéo sur l'Iran, et vous donne une image très belle et propre de ce pays et de son gouvernement.

La vérité est que certaines d'entre elles pourraient même être des expériences de vie vraies ou sincères. L'Iran peut être un endroit intéressant après tout, rempli de richesses historiques, culturelles et humaines. Mais je pense que même en étant très privilégié, et d'un naturel très enthousiaste, il est impossible de ne pas remarquer certaines lacunes.

Cela dit, à mon avis, même quand ça marche, c'est de l'argent qui va à l'égout.

Les problèmes ne disparaissent pas, simplement parce que vous les cachez derrière des vitrines colorées. Et depuis la mort de Jina/Mahsa, je doute que cette vitrine puisse jamais fonctionner comme avant.

À ce jour, la République islamique a tué des centaines de personnes, mis plus de 15 000 personnes en prison et exécuté des innocents, simplement parce qu'ils insistent pour faire passer le message que: « Nous n'avons pas tué Mahsa ».

Je pense que je n'arrêterai jamais de dire son nom. J'espère que personne ne le fera. Le feu a pris derrière toutes les vitrines. Mahsa est la clé de la vérité.

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Note de la traductrice: ce message devait à l'origine être une explication plus longue et plus complète sur la question des fake news et des vitrines. J'ai insisté pour l'avoir dès maintenant, même incomplet, pour deux raisons liées entre elles:

=> L'incertitude sur l'avenir immédiat des communications internet, et donc la crainte qu'une fois le texte terminé, il soit impossible de l'envoyer.

=> le fait que cette réalité (les vitrines, l'utilisation des cyberis, la profusion de fake news) est connue de tous les Iraniens, et vécue comme une évidence, même pas un sujet de conversation, en fait, alors que les occidentaux n'en savent rien.

Et si demain le gouvernement décide de débrancher le pays (en basculant sur "l'internet national", cet intranet sur lequel ils travaillent depuis des années et qui permettra à l'Iran de fonctionner en circuit fermé, en ne voyant que les contenus autorisés par la République Islamique et en ne pouvant plus communiquer avec l'extérieur que par les canaux contrôlés par la République Islamique) alors nous ne verrons plus rien de l'Iran que ce que le gouvernement décidera de mettre en vitrine, et même si, derrière les vitrines, le feu continue de brûler, le sang de couler et les grues de faire valser les corps, les Iraniens ne pourront plus nous le dire.

C'était il y a déjà deux mois, je crois, que nous évoquions Orwell.

Ce message est, il me semble, nécessaire, pour que le monde comprenne ce qui se profile, et mette tout en œuvre pour l'empêcher.

Je ne comprends pas comment le monde peut rester si stoïque devant une réalité qui peut s'exprimer aussi simplement que "les Iraniens vont être totalement privés d'accès à l'internet mondial".

Mais bon... c'est vrai qu'il n'a pas vraiment tremblé, quand la réalité a dit "les afghanes vont être totalement privées d'accès à l'éducation".