Pour changer des derniers appels au secours, je partage avec vous aujourd'hui un courrier personnel. Un instantané du quotidien d'une famille de Téhéran, qui doit bien continuer à vivre malgré tout. Lisez, partagez, dites leurs noms !
Bonjour mon amie,
Désolé pour le long silence, c'est devenu dur de m'asseoir à mon bureau et d'écrire.
La journée d'hier a été longue et chargée. Je suis allé à l'hôpital avec les enfants, et ils nous ont tellement maltraités que nous avons décidé de partir avant que quiconque ait pu regarder nos plâtres.
Nous sommes allés à la section IRM pour mettre les radios et d'autres trucs que nous avions sur un DVD. Il y avait une foule de gens misérables qui attendaient et ils leur soutiraient de l'argent à chaque étape du parcours.
Un couple de personnes âgées m'a demandé de remplir un formulaire pour eux. J'étais presque en train de pleurer quand nous sommes sortis. Les enfants étaient silencieux.
Ensuite, je suis allé à la banque pour effectuer des paiements. Et le caissier avait un poignet cassé, avec un plâtre de merde comme nous. Il pleurait presque aussi.
Après avoir validé mes paiements et quitté la banque, j'ai demandé à mon cousin de me dégotter un rendez-vous avec un médecin pour changer nos horribles plâtres du 12ème siècle. Nous nous sommes donc dirigés vers la clinique, mais ils n'avaient pas de machine pour couper les plâtres.
Un interne a été envoyé dans un autre service pour en chercher une. Finalement, les plâtres ont été ouverts et on nous en a posés d'autre, en fibre bleue bien plus légère. Nous nous sentions tous les deux assez soulagés après ça.
Ensuite, je suis allé à la librairie acheter des fournitures pour les enfants, et la librairie était presque complètement vide de clients.
Un client est venu protester "pourquoi restez vous ouvert dans ces conditions?"
Moi, j'aurais répondu « nous vendons des livres ! Ils seraient bien trop contents de se débarrasser de nous ! ».
Mais j'ai juste acheté les affaires pour les enfants et nous sommes partis. Et puis en début de soirée tout s'est enchaîné dans notre quartier et on a assisté à une vraie mêlée de style hollywoodien avec des cailloux et des bâtons contre des fusils et des gaz lacrymogènes.
Cette fois ci nous sommes restés à l'écart. Nous avons eu notre compte de bobos et de plâtres pour cette semaine.
Et dire qu'un peu plus tôt dans l'après-midi des manifestants distribuaient des fleurs aux policiers qui attendaient le moment de commencer à en découdre. Il y aurait eu tellement de bonnes photos à prendre...mais avec les enfants, les plâtres, les sacs de fournitures, j'ai préféré m'abstenir.
Nous avons essayé de regarder la télévision mais nous nous sommes littéralement évanouis vers 21h00, je pense.
J'ai rêvé de Paris. Nous assistions à un spectacle dans un vieil immeuble. Le bâtiment avait beaucoup d'escaliers et d'anciens cadres de fenêtres sur chaque mur. C'était bien d'être en voyage, même si ce n'était qu'un rêve. Mais toute cette marche, tous ces escaliers... c'était épuisant.
Je vois ma cousine ce matin, la plus âgée. Elle a pleuré presque toute la journée d'hier et d'avant-hier, et je n'arrêtais pas de l'appeler chaque fois que j'en avais l'occasion.
C'est comme une autre lourde pierre enchaînée à notre cou, cette douleur constante que tout le monde exprime...
Que puis-je te dire d'autre, mon amie? Les mauvaises nouvelles continuent d'affluer de partout.
Les forces gouvernementales sont en surnombre, procédant à des arrestations tous les jours et appelant tout le monde pour des interrogatoires, et elles agissent comme si elles avaient à éteindre un incendie bien trop gros et bien trop rapide pour leur seaux d'eau.
Aujourd'hui, les enfants du voisin iront à leur école pour faire un sit-in avec toutes les filles présentes. Il leur a été demandé (par leurs propres professeurs, qui sont des jeunes femmes à peine plus âgées elles-mêmes) d'aller à l'école sans leur hijab désormais !
Comme s'ils pensaient que le combat est déjà terminé... Ou peut-être que c'est ça, le combat. De toute évidence, toute l'école finira en prison... tous les professeurs et les élèves.
Les enfants et moi discutions du sujet de la douche avec un plâtre ce matin. Cela prend beaucoup de temps et on a l'impression de jouer au jenga.
Mais au bout du compte... Ne sommes-nous pas déjà tous en train de jouer au jenga, à attendre le grand effondrement?
En attendant continue à porter notre voix, nos vies comptent.
Merci
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