Il y a des années, lorsqu'un journaliste espagnol m'a demandé si je pensais qu'il devait imprimer dans son journal les caricatures du prophète publiées aux Pays-Bas, j'ai dit non.
Le foie de Charlie Hebdo
Il y a des années, lorsqu'un journaliste espagnol m'a demandé si je pensais qu'il devait imprimer dans son journal les caricatures du prophète publiées aux Pays-Bas, j'ai dit non.
Je pensais qu'il ne devrait pas parce que cela serait remarqué et utilisé par les musulmans extrémistes qui cherchent les ennuis, comme une opportunité de faire plus de bruit.
À cette époque, j'avais déjà pu voir que les fauteurs de troubles et les terroristes violents, étaient capables d'attirer à eux toute l'attention des médias, en tant que «musulmans».
Je savais bien qu'il y avait une différence entre un musulman et un terroriste, une différence qui ne semblait pas être perçue ou comprise par le public cible de ce type de médias.
C'était l'époque d'Al-Qaïda et de Bush, et du 11 septembre. Et j'ai juste pensé "pourquoi donner à ces gens une chance de réagir ? pourquoi leur faire cadeau de cette plateforme ?"
Je pense que le journaliste à qui je parlais n'a pas beaucoup aimé quand j'ai répondu de cette façon et il m'a dit que son journal devrait être autorisé à imprimer ce qu'il veut.
J'ai dit : Mais vous avez déjà le droit d'imprimer ce que vous voulez ! Il n'est pas question ici de ce que vous avez le droit d'imprimer, il est question de ce que vous choisissez d'imprimer… Nous ne sommes pas allés très loin dans cette discussion, et il a imprimé les caricatures et rien ne s'est passé, probablement parce que personne ne l'a remarqué.
Ces jours-ci, quand Charlie Hebdo fait des choses comme ça, cela pointe toujours vers un point zéro. Cela rappelle et souligne toujours le fait que les gens de Charlie Hebdo ont aussi payé, de leur propre sang, pour avoir utilisé la liberté qu'ils pensaient avoir.
Cela les rend plus "comme nous". Parce que nous, nous payons toujours de notre sang, ce que nous écrivons et ce que nous imprimons, ici en Iran.
Ou devrais-je dire que c'était comme ça avant, parce que de nos jours, nos journaux sont plus adaptés pour essuyer les vitres, que pour quoi que ce soit d'autre. Cela fait un moment qu'aucun de nos journaux ne contient réellement quelque chose qui vaille la peine d'être lu.
Il y a un ou deux journalistes que je suis encore de loin. Ils sont assez courageux pour écrire quelque chose qui critique légèrement les manières de faire de la République islamique, et parfois ils sont même assez courageux pour critiquer indirectement le chef suprême. Ils jouent à «dites-le à la porte pour que le mur l'entende» comme le dit le proverbe persan.
Même si Charlie Hebdo n'est pas attaqué par l'État français, il vit dans le souvenir de ce jour où "des musulmans" l'ont attaqué. Et donc, il faut encore du courage pour faire ce qu'ils font. Et que faire devant le courage, si ce n'est l'applaudir, lorsqu'il est utilisé pour promouvoir la liberté ?
Je ne dois pas être le seul à penser ainsi, si on en juge par la large diffusion des caricatures publiées dans les deux derniers numéros de Charlie Hebdo, ici, dans les rues de Téhéran, où bien les nombreuses réactions des Iraniens de l'étranger, qui ont semble-t-il couvert de fleurs le lieu de l'attentat, à Paris.
Mais aujourd'hui, il n'y a pas de journaliste européen ici en Iran, pour me demander ce que j'en pense. Il n'y a pas grand monde qui pourrait me demander ce que je pense de quoi que ce soit. Mais je veux penser que ce n'est pas parce qu'ils ne veulent pas savoir. C'est pourquoi j'écris ce que je pense tout seul, même si personne ou presque ne me le demande.
Donc, voilà, je pense que Charlie Hebdo est l'un d'entre nous, parce qu'il a saigné avec nous, et parce qu'il s'est levé le lendemain et a continué. Charlie Hebdo est composé de personnes qui pensent que nous ne devrions pas laisser les "terroristes" définir notre monde. Nous ne devrions pas laisser ceux qui cherchent à récolter les fruits de la peur gouverner notre monde.
Les terroristes sont exactement cela, par définition. Ce sont des gens qui cherchent à utiliser les effets de la peur en faveur de leurs propres objectifs. Et croyez-moi, quand je le dis, en tant qu'Iranien, j'ai été terrorisé par exactement ce que décrit cette définition, par des gens et par des contenus qui n'étaient en aucun cas "des musulmans" ou "Al-Qaida", ou ISIS ou quelque chose comme ça. En tant qu'Iranien, je l'affirme.
En ce qui concerne l'IRGC, et de savoir si cette organisation devrait être reconnue comme groupe terroriste, par les institutions et communautés internationales. Bah, c'est bien oui, et c'est ce qui aurait dû se passer depuis longtemps car l'IRGC est, par définition, une organisation terroriste.
C'est peut-être même l'organisation terroriste la plus grande et la plus puissante qui ait jamais existé. L'IRGC est par définition une organisation qui cherche à gouverner le monde et à atteindre ses objectifs en utilisant la peur.
C'est un commandant de l'IRGC qui menace de faire subir à Charlie Hebdo "le même sort que Salman Rushdie". Et si vous vous demandez si c'est un acte légitime d'appeler la force militaire officielle d'un pays un groupe terroriste, et bien, déjà, l'IRGC n'est pas l'armée iranienne. L'IRGC est le groupe qui a pratiquement noyé l'armée iranienne.
Deuxièmement, même si l'IRGC est encore une sorte d'organisation militaire officielle qui ne pourrait pas être qualifiée de « groupe », il est peut-être temps que nous proposions une nouvelle expression, telle que « Armée terroriste ». Ou bien, pourquoi ne nous contentons pas de dézoomer un peu et de traiter le gouvernement iranien de gouvernement terroriste ?
Les gouvernements ne peuvent-ils pas essayer d'atteindre leurs propres objectifs en semant la peur dans le cœur de différentes nations ou de différents peuples ? Appelez ça comme ça, si vous en avez le courage. Charlie Hebdo semble avoir le genre de "Foie" comme on dit nous Iraniens (je crois qu'en France vous utilisez une autre partie de l'anatomie. Notre façon de faire a l'avantage de s'appliquer à tous, sans distinction de genre).
Donc, pour résumer le tout, je pense que oui, l'IRGC est un groupe terroriste. Je pense que c'est le gouvernement de toute la République Islamique tout entier qui est un groupe terroriste.
Ne donnez pas d'opportunités à ceux qui en cherchent une, de mettre la peur dans le cœur des gens. Et Charlie Hebdo a beaucoup de foie, et il n'y a pas que les organisations musulmanes fondamentalistes violentes qui peuvent être des terroristes.
C'est juste mon avis, pour ceux que ça intéresse. Et il y a bien au coup d'autres Iraniens, ici, qui ont aussi des avis, et qui se demandent aussi, si ça intéresse quelqu'un, quelque part, de le connaître, cet avis, ou si cela vous suffit, en occident, de nous considérer comme des protagonistes distants et presque irréels d'un spectacle que vous commentez de loin, sur les plateaux de télévision du monde libre.
(note de la traductrice: il peut être intéressant de savoir, pour comprendre le ton de cet article, qu'il a été écrit suite à un échange que j'ai eu avec son auteur, à qui j'ai résumé les derniers segments d'émissions télé et radio consacrés à l'Iran que j'avais repérés dans le paysage médiatique français. Je pense que ce texte fait notamment directement écho à l'émission "c'est ce soir" diffusée jeudi sur France 5 et encore visible en replay, où un intervenant français, membre du comité de soutien de l'otage franco iranienne Fariba Adelkhah avait qualifiée d'irresponsable la démarche de Charlie Hebdo).
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Jin, Jiyan, Azadi devise des féministes kurdes
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