Voix d'Iran- Le prix d'être une femme

Hier, un homme en colère, aujourd'hui une femme en lutte. Je continue de partager les messages venus de Téhéran. Demain une nouvelle journée de mobilisation est prévue, la peur est aussi tangible que la détermination, dans ces voix d'Iran qui peinent à se faire entendre. Prenez le temps de lire. Partagez. Pensez.

Ce matin je ne parviens à afficher aucune page de sites d'informations, même pas une petite image, rien ne charge.

C'est quasiment impossible de mener à bien la moindre tâche dans des conditions pareilles.

Alors bon, en attendant que ça charge, j'essaie de rassembler un peu mes idées et de t'écrire, quand même, ce qui se passe.

Les images et les témoignages de ce qui s'est passé à Sanandaj, il y a deux jours, continuent de nous parvenir au compte-gouttes (à cause de l'internet de qualité préhistorique).

C'est difficile de croire ce que l'on voit, ce que l'on lit, mais c'est clair maintenant: ils sont bel et bien passés aux armes automatiques là bas.

Je t'avoue que j'ai peur. Il me semble inéluctable que les conflits armés gagnent aussi les grandes villes, ce n'est plus qu'une question de temps.

Je ne suis pas surprise. On ne peut pas vraiment attendre des gens, des dizaines de milliers de gens, qu'ils se retiennent indéfiniment de répliquer pour se défendre contre les violences armées du régime, surtout que les forces anti-émeutes classiques sont dépassées et incapables de garder le contrôle.

Je ne te cache pas que tout le monde a du mal à comprendre aussi, le silence des représentants officiels du monde libre. Surtout qu'on avait l'impression d'un véritable élan, de la part des gens.

Je sais bien que certaines informations nous échappent, mais quand même...

En gros on a l'impression de se battre tous seuls, et moi, j'ai vraiment peur que le mouvement ne finisse par retomber dans des travers du genre "mort à l'Amérique" et même mort à peu près à tous les autres pays, mais cette fois à cause de leur inexcusable passivité (qui confine au soutien) face au régime en place.

Je sais que tu vois autre chose depuis Paris, mais crois-moi, ici, les choses résonnent différemment. Les belles paroles ne sont pas perçues comme une aide. Les sanctions ne sont pas perçues comme une aide. C'est même pas un sujet, pour nous, de savoir si les sanctions sont utiles ou pas.

À mon avis plus personne n'en a rien à foutre des sanctions en ce moment, en tous cas moi, je ne connais personne qui s'en soucie, même parmi ceux qui en pâtissent le plus.

Ce qui pourrait nous apporter du réconfort, et peut-être même de l'aide, ce serait des déclarations officielles sans équivoque ni complaisance, prononcées par des personnalités politiques de premier plan. On peut rêver....

Difficile de ne pas croire que nous sommes tout simplement et sciemment laissés à la merci de voleurs hypocrites doublés de criminels sanguinaires au point que les gens ici, les gens normaux, plutôt tranquilles, pacifistes, réformistes même, se disent, de plus en plus, qu'il n'y a pas d'autre choix que de prendre les armes et de s'engager dans la bataille.

Si cela devait se produire, que Dieu protège le monde... On n'est plus en train de parler de la Syrie, de l'Iraq ou de l'Afghanistan, dont l'abandon et le saccage ont déjà bien foutu la merde dans l'ensemble du Moyen-Orient, mais l'Iran, maintenant...

Abandonner 85 millions d'otages, dans un pays aussi énorme, à la fois en termes de géographie et de culture.... Laisse moi te dire que le monde va la sentir passer, cette foirade!

À mon avis, la vraie question à se poser, pour un lecteur occidental, est la suivante: est ce que le "monde libre" ne serait pas en train de se ranger du mauvais côté de l'Histoire - c'est à dire du côté de la République Islamique- que ce soit par peur, par cupidité ou par nécessité ?

En d'autres termes, est ce que vos gouvernements parviennent à vous distraire, voire à vous égarer avec des idées fausses et des "fake news", juste pour que vous les laissiez gérer comme ils l'entendent (c'est à dire en protégeant principalement leurs propres intérêts financiers et alliances politiciennes) une crise qui est destinée à s'étendre de manière exponentielle, et à peser massivement à la fois sur les affaires courantes et sur le cours de l'Histoire ?

Êtes vous prêts à accepter que le reste de l'histoire de l'humanité se construise sur les ruines puantes de la manière dont le peuple iranien a été abandonné à son sort, laissé seul dans son combat pour des droits aussi simples que la nourriture, l'eau, et l'accès à l'information ?

Je suis iranienne, et je vous le dis, nous avons une forme d'holocauste qui se prépare en Iran depuis des années. Nous traversons une tempête qui s'attaque à la fois à nous, défenseurs d'idées comme la démocratie, la liberté, ou une approche égalitaire de l'existence et à ceux qui combattent toutes ces choses, en même temps que les chrétiens, les juifs, la nature, les animaux, et, peut-être plus significatif encore... les femmes.

Ce n'est pas un hasard si nous nous sommes mises à couper nos cheveux. Ce n'est pas un trend TikTok, mais un acte profondément enraciné dans notre culture. Un geste de deuil, qui parle de la fin de toutes choses.

En tant que femmes, nous incarnons les opprimés.

En tant que femmes, nous pouvons être frappées à l'arrière du crâne avec suffisamment de force pour provoquer une hémorragie interne fatale, juste pour avoir "mal répondu" quand l'oppresseur, masculin, armé, vêtu d'un uniforme vert, nous a insultées et à remis en question notre dignité.

Est-ce du côté de ces hommes que se tient votre gouvernement ? Les gens qui te lisent, doivent comprendre qu'il s'agit d'un problème global, pas d'un problème local et circonscrit. Pas d'un problème iranien.

Le fait que votre société si avancée, ne soit pas capable, après tout ce qu'elle a traversé, dans son histoire relativement récente, de reconnaître des crimes contre l'humanité et des violences faites aux femmes, est un vrai problème et un signe que, vous aussi, êtes probablement opprimés et manipulés par ceux qui vous gouvernent dans vos propres pays.

Je suis heureuse pour vous, cependant, qu'ils ne le fassent pas au moyens de matraques et d'armes automatiques.

Cette révolution pourrait bel et bien être l'opportunité que vous êtes nombreux à attendre pour reprendre vos propres droits en tant que peuple, en tant que femmes, et de libérer notre civilisation des menaces qui pèsent sur son futur.

Ne croyez pas que nous sommes un problème distinct et spécifique.

Cette Révolution est un signe clair, qu'il y a des gens en Iran qui ont foi en cette grande idée venue de l'Ouest: la démocratie ! Et pourtant c'est le comportement de vos dirigeants qui ébranle à présent notre foi....

Une femme, première ministre du Royaume Uni, qui garde le silence pendant que ses propres électeurs crient "femme, vie, liberté" ou que #mahsaamini est retweeté 300 millions de fois....

Femmes du monde libre, ne devriez vous pas lui demander, les raisons de son silence ?

Devons nous vraiment croire (beaucoup le croient déjà) que le Royaume uni est en fait un soutien actif du régime islamique qui nous opprime?

Devons nous vraiment nous résigner à accepter que l'Occident ne souhaite pas vraiment voir ces fascistes, ces extrémistes religieux violents et rétrogrades quitter le pouvoir, juste parce qu'ils pensent que cela leur garantit de meilleures chances de pétrole ou de gaz pas cher et plus d'argent dans leurs banques ?

Devons nous croire que vous, les peuples de l'Ouest, avez décidé de garder la démocratie pour vous, et de nous laisser le sang et les larmes ?

Et surtout, devons nous croire que les femmes, des millions de femmes, ici et à travers le monde, doivent être sacrifiées, que l'idée même d'être vivante, en tant que femme en Iran, doive être foulée aux pieds juste pour que le pétrole puisse continuer d'être pompé en paix ?

N'y a-t-il vraiment aucun autre moyen ? Est ce que, vraiment, le pétrole ne peut être pompé qu'au prix du sacrifice de l'idée même d'être une femme ?

Nous savons bien que nous ne pouvons pas attendre grand chose du monde extérieur. Nous n'attendons pas de vous que vous veniez ici saigner avec nous, mais quelques mots pour nous défendre, c'est possible quand même, non?

Comme beaucoup de ceux qui témoignent dans des médias occidentaux (même si nombreux sont ceux qui ont décidé que cela n'avait plus d'importance à présent), je ne dis pas qui je suis. Parce que cela pourrait m'être fatal, ou nuire à mes proches. Mais dans le fond, ça change quoi, de savoir qui tient ce discours ?

Imaginons que je ne sois pas honnête avec vous, imaginons même, juste un instant, qu'en réalité le Régime ne mente pas éhontément, quand il prétend avoir le soutien de "la majorité" de la population.

Quelle valeur a donc cette prétendue "majorité" si elle est incapable de garder une seule ville d'Iran en sécurité ce soir ? Ou une seule jeune fille en sécurité, à l'abri du genre de coups qui ont tué Mahsa? Et Nika, et Sarina, et toutes celles qui sont mortes pour avoir osé protester... précisément contre le risque d'être tuées.

Cette jeune femme, "cette fille", Mahsa, elle est toutes les femmes du monde aujourd'hui.

Elle est toutes les mères et toutes les filles. Et nous, nous sommes la majorité. Pas seulement par supériorité numérique, mais parce que nous sommes Femme, nous sommes Vie, et nous sommes Liberté.

Notre combat compte, rejoignez-le.