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Photo du rédacteurSirine Alkonost

Voix d'Iran - Les flammes de la prison Evin

Un témoignage recueilli ce matin, au sujet de la prison d'Evin, qui a brûlé cette nuit.
Les autorités affirment que l'incendie de la prison d'Evin a eu lieu dans l'atelier de couture, où tous les tissus ont brûlé. Aux infos ils annoncent que tout est calme maintenant et que rien de grave ne s'est produit.
Le fait que l'incendie d'un atelier de couture ait provoqué des tirs de mitrailleuses et des explosions si violentes qu'elles ont soufflé des fenêtres dans le voisinage, et que j'ai pu les entendre depuis chez moi, pourrait sans doute s'expliquer par le fait que les tissus qui brûlaient étaient fabriqués à base de poudre à canon. Je ne vois pas d'autre explication.
La prison d'Evin, construite par le Shah, a officiellement ouvert ses portes en 1972. Depuis lors, elle est entourée d'un nuage de mystère, de légendes et de mythes.
Mais même ainsi, toutes les personnes que j'ai rencontrées, qui en ont fait l'expérience avant et après la révolution de 1979, ont dit que la "version république islamique" est indépassable, en ce qui concerne la brutalité, la torture et le genre de stupidité à laquelle les détenus sont confrontés.
Je voudrais souligner le fait qu'être emprisonné par des idiots est une expérience très différente d'une incarcération classique, aux mains de ce que vous pourriez appeler un personnel pénitentiaire normal.
C'est pas qu'on s'attende à ce que les gardiens de prison aient fait polytechnique, mais vous savez... La stupidité est une chose magique. Mon propos, ici, c'est qu'il a souvent été souligné que la «stupidité» a été un facteur significatif dans la vie carcérale, là-bas à Evin et dans d'autres endroits similaires.
Et on ne peut pas dire que ça vienne des détenus, malheureusement: la prison d'Evin a toujours accueilli les meilleurs Iraniens, dès les premiers jours de son existence. Presque tous les écrivains, journalistes, poètes, cinéastes, scientifiques et bien sûr les militants politiques y ont passé du temps, beaucoup d'entre eux aux deux époques: avant comme après 1979. En 1979, les portes de la prison d'Evin ont été défoncées à un moment donné et beaucoup en sont sortis, pour être réinvités à nouveau quelques jours, voire des années plus tard, pour des raisons identiques à la fois précédente.
Mais aujourd'hui, il y a une différence. Depuis sa création, la prison d'Evin a été remplie de toutes sortes de gens intéressants, mais la plupart de ces gens, bons ou mauvais, savaient qu'à un moment donné de leur vie, ils pourraient finir là, parce qu'ils prenaient part à une forme ou une autre d'activité politique ou clandestine ou parce qu'ils avaient choisi de parler franchement de certaines questions sensibles, ou, bref, ils avaient fait "quelque chose".
Aujourd'hui, la prison d'Evin est remplie de gens, dont beaucoup n'ont pas fait ce "quelque chose". La prison d'Evin, détient des gens qui n'avaient pas forcément conscience qu'ils pourraient se retrouver là-bas pour ce qu'ils faisaient. Non seulement cela, mais il y a beaucoup de gens là-bas en ce moment, qui sont là depuis des mois ou même plus d'un an, et ne savent toujours pas ce qu'ils ont fait. J'insiste : ils ne savent absolument pas pourquoi ils sont là.
C'est quelque chose de relativement nouveau. C'est la ligne de démarcation, entre Evin des époques précédentes et Evin d'aujourd'hui, à mon avis.
La république islamique a perdu le contact avec la réalité dans de nombreux domaines, et celui-ci en est un : ce régime ne peut même pas décider par lui-même pourquoi il a incarcéré certaines personnes. Il ne parvient pas à « savoir », même de manière purement technique, pour quelle raison il emprisonne les gens - comme si c'était devenu une sorte d'habitude.
L'un des slogans que les gens crient ces jours-ci, pourrait se traduire « Evin, c'est l'Université ». Et effectivement, tous les meilleurs enseignants et universitaires sont là-bas, ainsi que les étudiants. Ouvrez les portes de cette prison, et certaines des personnes les plus accomplies, et admirables que vous pourriez rencontrer en sortiront. C'est vraiment aussi simple que ça.
Le temps manque pour en dire davantage, j'espère pouvoir écrire un jour tout le reste, de préférence ouvertement, sans cacher le nom ni l'identité de personne.
En attendant ce jour... Nous n'avons pas pu dormir la nuit dernière. Beaucoup d'entre nous ne pouvaient même pas s'asseoir et continuaient à marcher dans leurs chambres, se demandant quel nom sortirait au matin, annoncé comme mort, comme brûlé vif, à l'intérieur de cette maison des horreurs.
Pour l'instant, ils disent, en gros, que tout est sous contrôle et que personne n'a été abattu.
Je l'espère. J'espère que tous les coups que nous avons entendus étaient tirés en l'air. Mais notre expérience nous raconte une toute autre histoire: les morts font toujours surface après quelques jours de déni. Nous ne pouvons jamais être sûrs, jusqu'à ce que chaque prisonnier appelle chez lui et dise à sa famille qu'il va bien.
(note de la traductrice: depuis la mise en ligne de ce texte, le bilan a en effet évolué, le régime évoque à présent 4 détenus décédés, et 61 blessés. Mais la plupart des familles attendent encore des nouvelles de leurs proches, et il est donc impossible de vérifier si les chiffres annoncés sont réels.)
De tous les feux qui ont enflammé le pays ces dernières semaines, celui-ci brûle nos cœurs le plus violemment.
N'oublions pas que cela s'est passé cette nuit, après une journée entière d'affrontements violents à travers tout l'Iran, et après qu'une autre jeune fille a été envoyée dans la tombe, et que sa camarade de classe s'est retrouvée dans le coma, pour avoir refusé de chanter l'hymne "ô Commandant" à l'école.
Nos vies comptent, soyez notre voix.

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