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  • Photo du rédacteurSirine Alkonost

Voix d'Iran : les visages de la défaite



La République islamique représente la séparation. Séparer l'homme de la femme. Séparer les musulmans des autres êtres humains. Séparer les Iraniens des non-Iraniens. Et puis séparer les Iraniens des Iraniens. Séparer les humains des humains.


Les visages de la défaite CNN affirme que les joueurs de l'équipe nationale iranienne ont fait l'objet de pressions. Plus précisément, on les aurait menacés de représailles sur leurs familles si ils ne se pliaient pas aux exigences du régime (je veux dire, en plus des promesses de voitures neuves et de primes en espèces si ils sont sages) Les Qataris, eux, aident la république islamique de toutes les manières possibles, notamment en arrêtant tous les supporters et journalistes susceptibles de diffuser des images embarrassantes dans les médias internationaux. Ils ont aussi fourni aux représentants du Régime sur place des travailleurs précaires originaires du Bangladesh (les mêmes qu'ils ont utilisés comme main d'œuvre jetable pour construire les stades, je suppose) pour qu'ils puissent les déguiser en supporters de la Team Melli, et remplir les sièges vides des vrais supporters expulsés ou retenus à l'extérieur du stade à cause d'un slogan ou d'une image sur un t-shirt ou un drapeau. Résultat, après un premier match où les joueurs avaient refusé de chanter l'hymne national, et où le public iranien brandissait pancartes et drapeaux pour soutenir la révolution, les deux suivants ont été bien plus policés: les supporters filmés brandissaient ostensiblement le drapeau de la République Islamique, et au cas où on n'aurait pas compris, les pancartes ne disaient plus "Iran" mais "I. R. of Iran". Quant aux joueurs, ils ont tous chanté l'hymne, ont dédié leur victoire au peuple d'Iran, et manifesté une joie sans équivoque quand ils ont battu le pays de Galles. De nombreux médias, en Occident, ont interprété la dédicace au peuple iranien, ainsi que la référence à la mort du petit Kian Pirfalak comme des signes forts de soutien au mouvement révolutionnaire. Ils ne sont pas perçus comme tels en Iran, où, je vous le rappelle, le régime prétend que Kian a été tué par des terroristes de Daech, et que le peuple iranien est victime de violences de la part d'agents étrangers à la solde d'Israël et des États-Unis. Il est probable que les joueurs de foot ne croient pas davantage que le reste de la population à cette propagande éhontée, mais que ce soit par intérêt ou par peur des représailles, ils jouent le jeu. Et ils ont réellement joué le jeu: ils étaient là pour perdre et ils ont perdu. Le gouvernement voulait qu'ils perdent, pour que la fenêtre de visibilité que la coupe du monde offrait au soulèvement révolutionnaire se referme. Et le peuple voulait qu'ils perdent, parce qu'ils étaient devenus le symbole de l'hypocrisie du régime, et que leurs manifestations de joie lors de leur unique victoire lui ont paru indécentes, voire obscènes. Le peuple iranien a, dans sa grande majorité, depuis des semaines, le sentiment de devoir éponger chaque jour le sang de sa jeunesse avant de pouvoir regarder quoi que ce soit, même simplement le jour qui se lève... Alors des scores de foot ! Nous voulons voir en face le visage de la victoire. Mais qu'est ce qui ressemble le plus à une victoire ? Des petits groupes de gardiens de la révolution en uniforme complet, dansant dans les rues en agitant des drapeaux, et souriant à pleine dents à des filles dévoilées maquillées aux couleurs de l'Iran, après le match contre le pays de Galles ? Ou bien est-ce plutôt le rassemblement spontané et désordonné du peuple dans les rues, hier soir... les cris et les coups de Klaxon du peuple qui se mettait en danger, une fois de plus, cette fois ci pour célébrer-comble de l'ironie- la victoire des États-Unis ? Quel est réellement le visage de la victoire ? Beaucoup de gens, hors d'Iran, pensaient que la coupe du monde galvaniserait notre mouvement, et que ce seraient justement les visages de nos héros qui, une fois encore, porteraient les espoirs de victoire du peuple iranien. Mais si vous voulez vraiment savoir... les gens qui ont refusé de regarder ces matches, ceux qui ont refusé de croire en la Team Melli, c'est peut-être à cause des courbettes des joueurs devant le président, certes, mais c'est aussi parce que leur cœur est assombri et qu'ils sont en deuil. Ils sont en deuil, et leur chagrin est bien réel. Le traumatisme qui est infligé à notre société est très profond. Doit-on être surpris que les gens n'aient pas le cœur à regarder des joueurs de football courir après un ballon en sautant dans tous les sens, alors qu'au même moment, leurs amis se font tirer dessus, ou leurs frères et soeurs sont torturés dans des prisons, ou bien il est l'heure d'aller pleurer, encore et toujours à l'enterrement d'un enfant de plus, un enfant qui aurait préféré regarder le foot, plutôt que de se prendre une balle dans la tête ou le cœur. Vous devriez le comprendre, je pense. Ce n'est pas facile pour tout le monde d'accepter le bonheur ou les encouragements des fans, dans ces conditions, cela n'aurait été possible, vraiment, que si cette équipe avait eu pour nous, le visage de la victoire. Au passage, merci, quand même, à l'équipe allemande, nous vous entendons. Nous avons vu votre vidéo. Cela signifie beaucoup. Cela a fait pleurer beaucoup de gens de voir qu'on se soucie de nous. Le fait que vous ayez envoyé votre message depuis les vestiaires, avec les ballons de foot dans les mains, et le fait que vous regardiez la caméra droit dans les yeux, de manière sérieuse, et que ça montre que vous pensez ce que vous dites, ça n'est pas passé inaperçu. Vous le savez peut-être déjà ; vous avez de nombreux fans parmi le peuple iranien. Vous avez rendu certains de vos fans très heureux. Encore une fois, c'est l'Allemagne qui semble mieux nous connaître. Je me demande si c'est parce que l'Allemagne a vécu des choses très similaires à la République islamique. Ou est-ce simplement parce que l'Allemagne donne à ses enfants une meilleure éducation dans ses écoles ? Merci, l'équipe allemande, en tout cas. Cela signifie beaucoup pour nous . Un homme, aussi, à sauté sur le terrain, avec un drapeau arc-en-ciel dans les mains et un maillot bleue sur lequel on pouvait lire un message de soutien à l'Ukraine et dans le dos: "Respect pour les femmes iraniennes". C'est dommage que la FIFA ne propose pas ce genre de maillot. Il est dommage que la FIFA ne soit pas un leader révolutionnaire sur ce front. FIFA, c'est vous qui devriez porter ce maillot, pas juste une seule personne qui saute et court et se fait pourchasser et tacler ! FIFA, les jours ont été bien plus longs pour les Iraniennes. Chaque heure ressemble à une semaine pour elles, dont le regard ne peut qu'être accusateur ou indigné, devant la façon dont vous gérez par exemple, le fait que la République islamique refuse l'entrée aux femmes dans ses stades. C'est pas du foot ça peut-être ? Les Iraniennes dans les stades ! Le Football féminin iranien ! FIFA ! N'oubliez pas ces deux choses là ! La vie des femmes compte ! La République islamique représente la séparation. Séparer l'homme de la femme. Séparer les musulmans des autres êtres humains. Séparer les Iraniens des non-Iraniens. Et puis séparer les Iraniens des Iraniens. Séparer les humains des humains. La république islamique est un très puissant promoteur de préjugés et un grand producteur de haine dans ce monde. La république islamique n'autorise pas la liberté d'expression. Elle ne permet pas à ses habitants de choisir leurs vêtements. Elle ne permet pas aux gens de choisir leur nourriture. Elle ne permet pas aux gens de choisir leurs médias. Elle ne permet même pas aux gens de choisir de rester célibataires. Être célibataire fait de vous un citoyen de seconde classe ici en Iran. Les personnes mariées ont des privilèges. La république islamique oblige les hôpitaux à saisir chaque patient et toutes ses informations, IRM, rayons X, tests sanguins, tout, sur une plate-forme numérique, accessible à pratiquement tout le monde. Le gouvernement envoie ensuite des SMS aux citoyens, contenant les numéros de téléphone à appeler, lorsqu'ils veulent « faire un signalement » au sujet de quelqu'un. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi je trouve que ça ressemble à un appel à la délation. La République islamique, tue des enfants. Elle tue vraiment tout ce qu'elle peut, tout ce qui ressemble à la vie ou à l'avenir. Les enfants, les forêts... La République Islamique vend des forêts entières. Elle vend ses réserves d'eau. Elle vend les libertés. Et elle tire des billes d'acier dans les yeux de ses jeunes avec des fusils de chasse. Quand tout ça sera fini, il y aura beaucoup d'aveugles qui se promèneront dans nos rues, comme autant de témoignages vivants des crimes de la République islamique. L'une des femmes devenues aveugles est Ghazal Ranjkesh, étudiante à Bandar Abbas, dans le sud de l'Iran. Elle a dit ceci: Bonjour, Je suis Ghazal, j'avais passé quatre heure dans une salle de classe puis neuf heures au travail, et je rentrais enfin chez moi pour me reposer…. Et la dernière image enregistrée par mon œil droit, c'était cette personne qui tirait sur moi… La personne qui m'a tiré dessus ne savait pas que j'étais à l'épreuve des balles(...) Non; Je suis Ghazal. Celle qui a seulement dit "mère, es-tu touchée? Est-ce que tu vas bien?" quand je ne pouvais déjà plus respirer à cause de la douleur dans mes yeux. Mes yeux étaient très beaux, tout le monde me le disait. (...) Mais la dernière image qu'ils retiendront, c'est celle de cet homme qui souriait en me tirant dessus, Et je voudrais lui demander : - pourquoi m'as-tu tiré dessus ? - Pourquoi souriais-tu !? Post-scriptum: les billes ont été retirées de mon œil après une opération de 3 heures et ma paupière a subi une longue opération de chirurgie réparatrice. Il y a 52 points de suture sur mon œil droit ; et la vue et totalement perdue, car la rétine est complètement endommagée, il n'y a aucune possibilité de greffe de cornée." J'ai vu passer ça sur Instagram, le message circule et n'a pas été démenti, il semble bien que ce soit en effet Ghazal. A la fin d'une des vidéos, en plan serré de son visage, le regard hésite entre l'horreur de sa paupière cousue, gonflée et sanglante, en haut à droite, et, plus bas, ses deux doigts tendus, qui font encore le signe de la victoire... Le Ghazal, c'est une forme de poésie en persan. Un Ghazal fait environ 8 lignes, et c'est normalement un poème d'amour. En gros, les parents de Ghazal l'ont appelée "Poème d'amour". Son nom est "poème d'amour" et maintenant son visage est le témoignage vivant d'un crime. Et le restera encore de nombreuses années. Mais ce n'est pas le visage de la défaite. L'espoir est là. Les camionneurs iraniens sont vraiment en grève. Les grèves se multiplient d'ailleurs. Les rues, les universités, les écoles, les professeurs, les étudiants, et maintenant, les ouvriers, les camionneurs. Ce n'est pas comme si rien ne se passait. Les choses se passent. Les choses continueront à se produire, jusqu'à ce que ce gouvernement honteux et dégoûtant disparaisse. Il y a ceux qui se battront pendant des années. Il y a ceux qui se battent depuis le jour où ils se sont connus. Il y a ceux qui ont repris là où leurs parents ou grands-parents se sont arrêtés. C'est simplement devenu « la liberté ou la mort » pour certains d'entre nous. Pour certains d'entre nous, se battre pour la liberté aura été la carrière de toute une vie. Pour certains d'entre nous, Liberté est le seul mot que nous connaissons. Si quelqu'un dit "Bonjour", nous disons "Liberté". Si quelqu'un dit "bonne nuit", nous disons "liberté". Alors j'aimerais pouvoir dire à Ghazal que je sais pourquoi il souriait. L'homme qui lui a tiré dessus, je connais son sourire, je l'ai vu plusieurs fois. Ce sourire, c'est le rictus de la défaite dans l'esprit du tireur. Ce sourire, ça veut dire qu'ils sont vaincus. Cela signifie qu'ils le savent. J'aimerais pouvoir trouver Ghazal et le lui dire. "Je connais si bien ce sourire. C'est le sourire de la défaite. La victoire, elle, est dans tes yeux fermés"





Jin, Jiyan, Azadi
devise des féministes kurdes

Femme Vie Liberté

Soutien à la révolution iranienne en cours

Zan, Zendegi, Azadi
cri de la révolution iranienne

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