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  • Photo du rédacteurSirine Alkonost

Voix d'Iran : Liberté à vendre.

Ce témoignage reçu aujourd'hui de Téhéran, apporte un éclairage général sur la vie quotidienne et en particulier le lien entre extrême richesse et libertés individuelles dans un contexte de dictature. Il explique aussi, en creux, les images parfois étonnantes diffusées sur internet de lieux publics iraniens semblant échapper aux règles en vigueur.

La liberté est à vendre en Iran.

Le gouvernement iranien fait toujours de son mieux pour forcer le peuple iranien à se conformer à ses règles discriminatoires, fascistes, élitistes et misogynes. Mais ce n'est pas purement par compassion religieuse ou par désir profond d'amener le plus de musulmans possibles jusqu'au Paradis.

Non! Nous ne sommes pas seulement contraints d'accepter leur vision du paradis obligatoire. Ça concerne aussi la vie sur Terre.

En fait, si vous êtes assez riche, il peut être beaucoup plus facile pour vous d'échapper au paradis, simplement en payant les luxueuses factures de certains restaurants et cafés, de gymnases ou de tout autre type de lieux privés, généralement détenus (ironiquement, mais sans surprise) par ceux qui ont les liens les plus forts avec les hautes sphères du pouvoir.

Dans l'un de ces grands restaurants, dans les quartiers nord de Téhéran, où ils ont plus de 300 mètres carrés de surface commerciale, et où tout coûte plus cher qu'à Beverly ou Malibu, ou dans les magasins chicos du front de mer dans le sud de la France, vous pourrez difficilement trouver une femme portant le hijab obligatoire, et vous n'y trouverez peut-être même pas un seul signe, qui pourrait prouver à quiconque que cet endroit est en fait à l'intérieur de la ville même où Mahsa (Jina) Amini a reçu un coup si fort à la tête qu'elle a saigné de l'intérieur et en est morte, simplement parce que son hijab avait un peu glissé en arrière.

Ou cette ville où un boxeur multi-médaillé s'est fait tirer dessus à bout portant, par deux fois, dans un parc, pour avoir protesté quand un homme en uniforme avait insulté sa femme parce que ses cheveux étaient visibles.

C'est bien ici, dans cette même ville, que la partie la plus riche de la société iranienne peut s'asseoir, et manger les repas les plus chers, et le café le plus délicieux, et les pâtisseries raffinées et les "Mocktails" venus de l'Ouest, en toute liberté, oublieuse de tous ces "faits divers".

Le personnel du restaurant informe parfois discrètement ses clients fréquents que « nous fermerons pendant 5 jours à compter d'après-demain, parce que nous serons « plombés » (ndlt: terme légal signifiant "scellé avec du plomb", c'est le mot français qui est utilisé en persan), mais ne vous inquiétez pas, c'est uniquement pour que nous puissions affirmer que nous ne sommes pas laissés sans surveillance par l'État islamique. Nous reviendrons après une courte pause.”

La liberté est donc bel et bien à vendre, ici en Iran. Vous payez, et vous pouvez alors vous sentir plus en sécurité quand vous ne portez pas de hijab, ou quand vous portez un bermuda, si vous êtes un homme, ou peut-être quand le serveur injecte discrètement de la vodka dans votre bière sans alcool. Vous pouvez vous sentir beaucoup plus en sécurité dans les complexes sportifs les plus chers, dans les centres commerciaux les plus spacieux et les plus modernes, que dans les parcs et sur les trottoirs de toute la ville.

Et c'est valable à tous les niveaux, qu'il s'agisse des concerts de musique, des pièce de théâtre, des spectacles, des séminaires, vraiment n'importe quoi. "Payer pour la liberté" a toujours été une pratique courante ici, mais cette saison c'est vraiment le thème principal de notre quotidien. Et il semble que nous devions nous y habituer.

Il semble que si le gouvernement ne parvient pas à établir que "nous, la République islamique, sommes une entreprise au service du Paradis", alors pourquoi ne pas au moins en tirer de l'argent en tant qu'entreprise sur terre ? Pourquoi ne pas envoyer certains de nos larbins dans les rues avec la consigne d'être aussi agressifs et violents que possible, avec n'importe qui et pour n'importe quelle raison à la noix, afin que nous puissions ensuite faire payer les gens pour s'asseoir une heure à une terrasse et déguster un mojito en paix?

C'était déjà possible avant, bien sûr, en tous cas pour ceux qui avaient un passeport. Bien entendu, les femmes ont également besoin de l'autorisation de leurs tuteurs masculins, et les hommes doivent avoir terminé leur service militaire, mais il est en effet possible depuis toujours de payer pour aller en Turquie, ou à Chypre, ou en Thaïlande, ou en Arménie, pour une bière, et qui sait, peut-être du soleil, de la vitamine D, ou peut-être des activités plus sinistres ou plus sexy.

Mais à un moment donné, le guide suprême a dit qu'il n'aimait pas l'idée que les gens se rendent dans le sud de la Turquie pour se divertir avec une telle facilité, et ils ont donc annulé tous les vols directs de Téhéran à Antalya ou Bodrum. Mais la solution à cela était juste un peu plus d'argent, et une escale à Ankara. Tout ce qu'il fallait, c'était que l'avion s'arrête 10 minutes, dans un autre aéroport, quelque part en Turquie, qui ne soit pas "le sud". Cette tradition, établie à l'époque d'Ahmadinejad, existe toujours. Si vous ne me croyez pas, vérifiez simplement les vols sur Google. Essayez de trouver un billet de Téhéran à Bodrum. Il n'y en a pas.

Mais maintenant, depuis que tant de sang à coulé, et depuis que le fossé économique entre les riches et les pauvres s'est creusé, il y a une politique plus généralisée de "liberté à vendre". Et quand je dis fossé, je ne parle pas du genre de division que vous voyez en Europe. Non! Ne commencez même pas à dire "Oh, nous avons ça aussi!". Non. Vous n'avez pas ça.

Avez-vous vu les Porsches 4X4 à Téhéran ? Saviez-vous que chacune d'elle vaut 3 des vôtres (et je veux dire exactement la même voiture, achetée dans n'importe quel pays européen) ? Saviez-vous que certaines voitures sont embarquées sur des avions pour les Émirats arabes unis (et retour), juste pour une vidange d'huile? Cela signifie, en gros, que si vous avez une Maserati, ici en Iran, vous auriez pu en acheter 3 en Allemagne avec la même somme d'argent, et chaque changement d'huile pourrait financer l'achat d'une petite voiture en France.

Et ensuite, une fois que vous avez une telle voiture, où la garerez-vous ? Devant l'un de ces cafés bien sûr, où le "Parking Manager" qui a réussi à garder quelques places, peut-être parce qu'il a un genre d'amitié avec l'officier de police de la circulation du quartier, déplacera les cônes oranges en plastique pour vous.

La liberté ne peut être vendue que si elle est contenue. La liberté ne peut pas être vendue, si tout le monde l'a. Et ce sont bien les risques quotidiens que prennent les gens, que d'être confrontés à la violence et aux amendes, et d'être punis, d'une manière ou d'une autre, pour avoir revendiqué leurs droits.

Ici en Iran, ces jours-ci, les femmes doivent littéralement arracher leurs libertés à ceux qui les ont prises, tout comme les artistes, les écrivains, les penseurs, les créatifs arrachent les leurs, ici et là, un mot, un dessin, un poème à la fois. Nos femmes reprennent leurs libertés, un pas à la fois, à chaque promenade qu'elles font, avec une peur viscérale et un courage impressionnant.

Cet été, nous n'allons pas rester les bras croisés, pendant que seuls les riches sont libres. D'autres nous rejoindront, et ensemble nous réinsufflerons la vie dans le cadavre de cette culture de la mort.

Certains d'entre nous ne prévoient pas de mourir pour la liberté. Certains d'entre nous prévoient en fait de rester en vie pour elle.

Jin, Jiyan, Azadi
devise des féministes kurdes

Femme Vie Liberté

Soutien à la révolution iranienne en cours

Zan, Zendegi, Azadi
cri de la révolution iranienne

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