J'ai reçu ce matin de Téhéran cette réaction à l'assassinat de Dariush Mehrjui et son épouse Vahideh. Ce meurtre en évoque de nombreux autres, et nous rappelle que c'est tout les jours, en Iran, la liberté qu'on assassine.
Si vous cherchiez un alchimiste du cinéma, dont l'oeuvre cumulât depuis toujours toutes ces qualités que l'on recherche aujourd'hui, comme l'absence de clichés et stéréotypes.... de connotations racistes... de remarques misogynes... de "male gaze"... d'utilisation gênante des enfants... de glorification de la violence, etc.… Et bien sachez que nous l'enterrons aujourd'hui, dans un cimetière situé au sud de Téhéran, qui rassemble tout un orchestre de gens comme lui, des gens qui montraient une forme d'éveil intellectuel, une sorte de conscience et de responsabilité envers la vie dans son ensemble.
Dariush Mehrjui n’hésitait pas à s’exprimer contre le pouvoir en place. Il n'avait pas peur de se faire entendre sous le régime du Shah, et il n’avait pas peur de s’exprimer contre le pouvoir par la suite non plus, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Iran.
Mehrjui, et les très rares personnes qui lui ressemblaient, dans le monde du cinéma, ont produit leurs meilleures oeuvres quand ils étaient jeunes, avant la révolution. Même si le régime du Shah était soumis à une forte censure, ce qui s'est passé ensuite était incomparable à la fois en termes de rigueur de la censure et de recours à la violence contre des penseurs comme Mehrjui.
Nous y sommes tellement habitués maintenant, que même si il s'avère que Mehrjui et sa femme ont bel et bien été tous les deux assassinés par leur propre jardinier dans leur résidence de banlieue isolée, rares sont ceux qui sont prêts à le croire. Nous serions plus enclins à croire que ce sont les sbires de la République islamique qui ont fait le coup. Ceux qui sont capables de tuer un vieil homme et sa femme de cette manière, avec ce style qui est une sorte de signature familière, qui nous rappelle les meurtres en chaîne des décennies précédentes.
De tels meurtres ont eu lieu à la fois à l’extérieur et à l’intérieur de l’Iran, tous partageant la même signature; « Poignarder » et pas seulement une fois, non, plusieurs fois, bien plus qu'il n'en faut pour simplement mettre fin à une vie. Dans certains cas, plus d'une centaine de coups de couteau ont été signalés.
L’holocauste culturel de l’Iran a commencé de cette manière il y a quelques décennies, et cela s'est intensifié, a changé et a évolué vers un mode opératoire plus avancé, plus systématique, au point qu'il est maintenant difficile de penser qu'il puisse s'agir ici d'un meurtre isolé façon Manson Family, ou d'une quelconque querelle familiale. C'est très difficile de le croire, surtout quand ce style de meurtre se trouve viser, par coïncidence, exactement le seul individu qui s'est exposé en vidéo, de lui-même, provoquant ouvertement la République islamique, arrachant presque sa propre chemise: « Tuez-moi. Ici! Voici ma gorge ! tranchez-la !"
Et il est encore plus difficile de croire que son jardinier l'a assassiné, justement au moment où les Palestiniens et Israéliens jouent un jeu maladroit, sanglant et tordu, un jeu d'Exode moderne sur fond de conflit d'identité ethnique et religieuse.
En effet, la République Islamique avait menacé d'intervenir si Israël poursuivait ses projets de représailles disproportionnées contre Gaza après l'attaque du Hamas. Mais cela semble avoir été du bluff. Ils n'ont pas la force réelle pour affronter Israël directement. Alors peut-être qu'ils avaient besoin d'un moyen pour détourner l'attention du fait qu'ils avaient proféré des menaces vides de sens...
Quoi qu'il en soit, la famille Mehrjui a été victime d'une forme ou une autre de querelle, qu'elle soit liée à la politique internationale ou à des réformes sociales, nationales, rurales, suburbaines, peu importe. Il n’en demeure pas moins qu'ils n’auraient jamais dû être assassinés de cette façon. Et ils n'auraient pas été assassinés de cette façon, s’il n’y avait pas eu cette répression et cet holocauste contre les penseurs et artistes iraniens.
Mehrjui était les deux. Il était à la fois un penseur et un artiste.
Aujourd'hui, leurs corps seront enterrés, dans les larmes de leurs amis et de leurs fans.
Mehrjui a été à l'origine de nombreuses « premières ». Premier film qui a fait ceci ou qui était cela.
Son film « Hamoon » bénéficie d'une immense communauté de fans, quasiment une secte, qui en a fait un film culte. Mais ce n’est pas un film culte du genre auquel penserait un cinéphile occidental.
Hamoon était une première en ce qu'il avait un ton démocratique. C'était une première, d'avoir l'accent de la liberté, après la révolution de 1979. Le culte de Hamoon est un culte de gens qui aimentla démocratie, la liberté et l'égalité, de la manière dont ils doivent être aimés.
Le personnage principal de Hamoon parle d'un cauchemar qu'il a fait à un moment donné, disant qu'il avait rêvé qu'il était massacré quelque part dans une cave sombre et froide. Ce morceau de dialogue résonne partout sur Internet ces jours-ci.
Mais je vais pour ma part épargner à mes lecteurs toute forme de parabole cinématographique. Si vous ne connaissez pas l'œuvre de Mehrjui, allez voir ses films.
La situation de l’Iran s’assombrit de minute en minute. Vous ne vous en rendez peut-être pas compte, mais le monde marche sur des œufs en ce moment. Nous ne savons plus comment nous soigner, ici en Iran. Nous sommes trop profondément blessés.
Mehrjui avait beau être un vieil homme, il était un morceau entier de notre jeunesse.
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