À une semaine du premier anniversaire de la mort de Mahsa (Jina) Amini, ce témoignage venu de Téhéran rappelle les fondamentaux et renvoie à demi mot la "France des lumières " à sa responsabilité historique.

Les mots ont un sens. (note de la traductrice: l'auteur anonyme de ce billet est iranien et vit à Téhéran avec sa famille, il est de la "génération perdue" de ceux qui sont nés dans les années 70 et 80, et il a déjà signé plusieurs textes sur ce blog. C'est à ma demande qu'il a repris la communication, malgré les risques -les VPN fiables ne fonctionnent plus et les messageries cryptées sont filtrées- et surtout malgré le découragement qu'il partage avec mes autres interlocuteurs sur place, dont les témoignages suivront dans les jours à venir. Il leur semble à tous que leurs efforts pour se faire entendre ne rencontrent aucun écho sérieux. Ces mots ont de la valeur, merci à ceux qui leur accorderont une part de leur attention et de leur capacité de pensée.)
Près d’un an s’est écoulé depuis la mort de Mahsa.
Nous ne savons toujours pas exactement quel jour ou à quelle heure elle est morte. Nous ne savons pas si, au moment de cette photo d'elle sur son lit d'hôpital, cette photo qui a fait le tour du monde, elle était toujours vivante ou bien déjà morte. De nombreux professionnels de santé ont eu le temps de donner leur avis sur tout ce qu'implique chaque détail dans cette image.

Mahsa a reçu un coup de poing à l'arrière de la tête, par un homme qui la considérait probablement comme une moins que rien, comme un déchet ou comme une menace. Je n'ai aucun doute à ce sujet. La plupart d’entre nous en sont tout aussi certains, simplement parce que des choses similaires leurs sont arrivées.
Chacun et chacune d'entre nous a eu sa propre rencontre personnelle avec cette police, dont le nom n’a pas encore été traduit correctement à ce jour, pour ceux qui ne lisent pas le persan.
Beaucoup acceptent encore de le traduire par « police des mœurs », sans se poser de questions.
Une année est passée, depuis Mahsa, mais Mahsa n'est ni la première ni la seule à avoir été frappée ou agressée d'une façon ou d'une autre. Peu de temps avant sa mort, une jeune femme nommée Sepideh Rashno a été agressée par une autre jeune femme, une civile, qui a pris sur elle de lui rappeler que son hijab était inapproprié. Rashno lui a répondu sèchement et a tout enregistré avec son téléphone puis l'a mis en ligne.

Quelques jours après seulement, elle est apparue à la télévision d'état pour se repentir – pour dire qu'elle était désolée. Vous savez ce qu'on dit: les yeux sont les fenêtres de l'âme. Et bien chacun d'entre nous a vu son âme ce jour-là.
Et si nous suivons les grains de ce chapelet, un par un à travers l'Histoire, cela va bien au-delà d’un an seulement. Cela remonte à 100, peut-être 150 ans, peut-être plus encore: le cri pour la liberté, pour la démocratie, pour l'égalité, a commencé au moment où le peuple iranien a appris qu’il existe une chose appelée « République ».
Ils l'a appris des Français. On dit que les premiers livres contenant des informations sur ce concept abstrait furent importés de Turquie en Iran, à dos de mulets. Peut-être 100 exemplaires au début, puis 500, imprimés à Istanbul, et introduits ensuite clandestinement à travers les montagnes, probablement par les mêmes chemins qu'arpentent aujourd'hui nos "koolbar" (porteurs) kurdes qui transportent les pneus, les réfrigérateurs ou les téléviseurs sur leurs dos, là où les véhicules motorisés ne peuvent pas passer.

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