Chaque jour, nous sacrifions nos vies et même celles de nos enfants, sans hésiter, mais nous tremblons pour les vies qui sont en danger à Evine et dans les autres "universités" de notre patrie en flammes.
J'en ai déjà parlé dans une autre conversation, tout au début de ce mouvement, quand nous ne l'appelions pas encore "Révolution": les iraniens de l'étranger sont très nombreux- autour de 8 millions, soit l'équivalent de presque 10% de la population encore sur place. Les medias aiment se référer à eux comme à "la diaspora iranienne. Moi je préfère, comme beaucoup de gens, dire qu'il y a les iraniens de l'intérieur et les iraniens de l'extérieur, et, distinct d'eux tous, usurpant à notre corps défendant la qualification d'iraniens, que ce soir sur le territoire national ou il nous opprimment, ou à travers le monde entier où ils font prospérer l'argent qu'ils nous ont volé, il y a les gens du Régime, et ceux qui les soutiennent, parce qu'ils dépendent d'eux, le plus souvent financièrement Hormis donc cette minorité de gens qui ont des liens avec le régime, les Iraniens de l'étranger ont fait beaucoup pour provoquer ef entretenir cette Révolution. Certains d'entre eux sont devenus des militants professionnels en quelques jours, sans aucune expérience préalable. La plupart d'entre eux n'avaient jamais lu les journaux ni les ouvrages politiques et n'avaient même jamais rien lu d'autre que des magazines de mode ou des revues littéraires avant de prendre la responsabilité de changer le monde en écrivant de longs pamphlets, des slogans et des tribunes. Mais il n'y a pas qu'eux. Partout dans le monde, il y a des gens qui étaient actifs depuis bien des années. Certaines de ces personnes sont actives depuis littéralement quatre décennies et j'ai toutes sortes de sentiments contrastés sur beaucoup d'entre eux, mais je ne veux pas en parler maintenant. Je tiens juste à dire qu'ils ont fait beaucoup par le passé, et qu'ils font encore beaucoup aujourd'hui , qui qu'ils soient et quelles que soient leurs allégeances. Certains d'entre eux ont réussi à rassembler des milliers de partisans. D'autres ont réussi à s'assurer des soutiens importants ou puissants. Tout ça est très bien, j'imagine , tant que cela sert une noble cause. Mais il y a un problème. C'est qu'une fois qu'on est identifié comme militant contre la République Islamique, même sous la forme la plus légère qui soit, alors on ne peut plus jamais remettre les pieds en Iran, en tout cas tant que la république islamique y sera au pouvoir. En fait, il y a eu des cas où des personnes ont été littéralement kidnappées dans des pays voisins, comme l'Irak ou la Turquie, et emmenées en Iran, puis poursuivies, emprisonnées, torturées et exécutées, donc une fois que vous vous opposez à la République islamique, revenir en Iran est tout simplement hors de question. Et c'est bien là le problème. En dehors de tous les aspects émotionnels, et les ennuis que cela apporte, d'être un citoyen étranger, loin de la chaleur de la famille et des amis, ou de pouvoir utiliser les ressources disponibles "à la maison" , et bien plus vous restez loin, plus l'Iran change. Et plus vous restez loin, plus vous changez aussi. Et ces changements se poursuivent, jusqu'à ce qu'à un moment donné, votre compréhension de ce qui se passe "à la maison" ne corresponde plus tout à fait à la réalité des choses. "La maison" que vous connaissiez, elle n'existe plus La plupart des gens qui vivent à l'étranger, aussi bons soient-ils et aussi pures soient leurs intentions, ne pourront jamais être aussi perspicaces et "ajustés" que ceux qui vivent ici en Iran. Parce qu'ici, on a le doigt sur le pouls de notre pays. On voit les commerçants et les enfants et les fonctionnaires et les gens dans les embouteillages et tout ça. Sauf qu'on ne peut pas parler de ce qu'on voit: une fois que nous parlons, nous allons en prison. Actuellement, ceux qui sont dans nos prisons, ce sont pratiquement les personnes les plus précieuses qui existent dans toute cette épreuve. Ce sont exactement les personnes dont nous avons besoin qu'elles restent en vie, afin de pouvoir recoller les morceaux brisés de notre pays, une fois que tout cela sera terminé. Chaque jour, nous sacrifions nos vies et même celles de nos enfants, sans hésiter, mais nous tremblons pour les vies qui sont en danger à Evine et dans les autres "universités" de notre patrie en flammes. Il y a actuellement plus de 100 acteurs et plus de 60 réalisateurs de documentaires, dans nos prisons. Il y a Dieu sait combien de peintres, de dessinateurs, d'architectes, d'enseignants, de grands professeurs dans nos prisons. Des journalistes, des cinéastes, des écrivains, des philosophes, des scientifiques, des experts en informatique, des médecins, des avocats... les prisons iraniennes sont remplies de personnes qui nous sont à la fois très chères, à cause de leur courage, et de leur amour de la liberté, et qui nous sont aussi extrêmement précieuses, à cause de ce qu'elles savent, et de ce qu'elles savent faire. Ce sont ces gens qui peuvent reconstruire l'Iran et en faire une véritable démocratie. Et pourtant, actuellement, ils n'ont absolument aucune voix. Certains d'entre eux, on ne sait même pas s'ils sont encore en vie. Pour d'autres, c' est à peu près tout ce que l'on sait à leur sujet: qu'ils sont vivants, et c'est tout. Certaines de ces personnes ont été gardées à l'isolement pendant des mois. Pouvez-vous imaginer ce que cela fait à une personne, de ne voir ou parler à personne pendant des mois ? Et peut-être même de ne pas savoir quelle heure il est ou quel jour on est ? Je pense à ces gens tous les jours. Je m'inquiète de savoir s'ils y arriveront. Le régime décidera-t-il de tous les tuer, une fois que la fin sera devenue trop proche? Vivront-ils assez pour voir les fruits de leurs sacrifices ? Et puis, les Iraniens à l'étranger, ceux qui attirent l'attention pour le moment, parce qu'ils vivent dans le monde libre et ont la possibilité de s'exprimer, seront-ils justes envers ceux qui sont en prison ici, le moment venu ? J'aimerais que certains d'entre eux parlent davantage des prisonniers politiques. J'aimerais que les gens comprennent à quel point l'Iran du futur dépend de ces gens. Nous nous battons les mains nues, dans le silence et l'obscurité, nous menons une révolution sans leader contre un pouvoir fasciste qui réprime toute protestation dans le sang, et montre qu'il est prêt à tout, y compris à tuer nos enfants, pour conserver son emprise sur notre pays, mais nos héros, existent. Entre les murs de nos prisons, les femmes et les hommes qui possèdent le genre de compréhension et le genre d'expérience et de connaissances qui nous éviteraient beaucoup de problèmes dans un avenir débarrassé de la République Islamique, attendent avec leurs membres fracturés, leurs organes défaillants, leur poumons douloureux et leurs cœurs à la fois brisés et épuisés, que nous leur ouvrions enfin les portes, et que nous les rendions à une vie publique dont, contrairement à ceux qui prétendent nous gouverner, ils n'ont jamais cessé d'être dignes. Leurs vies comptent, soyez leurs voix- car ce sont eux qui devront un jour porter les nôtres. (note de la traductrice: Evine n'est pas une université, mais une prison, mais la proportion d'enseignants, d'étudiants, d'intellectuels et autres prisonniers d'opinion, et ce depuis bien des années, a amené les iraniens à la surnommer "l'université d'Evine" )
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