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Photo du rédacteurSirine Alkonost

Voix d'Iran: que demande le peuple ?



Le peuple iranien ne vous demande pas d'argent pour financer sa révolution, alors qu'il a les poches vides, il ne vous demande pas d'armes pour se défendre, alors qu'il affronte la répression à mains nues, il ne vous demande pas de troupes ni de soutien militaire pour le sauver de sa propre "armée de gardiens de la révolution".


Note de la traductrice: Ce billet est un peu long. Son auteur, coutumier des longs discours, à qui j'avais déjà recommandé plus de concision pour ces précédentes contributions (car je suis consciente que les textes longs sont moins lus) m'a dit "j'ai pas réussi à faire plus court, tu n'as qu'à le publier en plusieurs fois". Après lecture, j'ai décidé de le poster tel quel, et de faire confiance à votre intérêt. La crise des réfugiés syriens, les massacres au Kurdistan et la question brûlante des droits des citoyens face à l'abus de pouvoir de leurs dirigeants, partout dans le monde, me semblent des sujets suffisamment fédérateurs pour retenir votre attention le temps d'une lecture un peu plus longue qu'à l'accoutumée. Miser sur la liberté De nombreux pays ont commencé à fermer leurs ambassades en Syrie en 2012. La plupart d'entre eux ont déclaré que c'était pour des raisons de « sécurité ». Pour rappel, le peuple syrien avait commencé à manifester en 2009. Lorsque la situation est devenue complètement incontrôlable, des millions de Syriens se sont trouvés dans l'impossibilité de continuer à vivre dans leur propre patrie et ont dû commencer à migrer. L'absence d'ambassades ne les a pas empêchés d'atteindre les pays européens, cela les a simplement transformés en « réfugiés ». Aujourd'hui encore, c'est à dire bien des années plus tard, la façon de gérer un tel flot de réfugiés reste un objet de dissensions et polémiques politiques et humanitaires dans toute l'Europe. Quant à la Syrie elle-même, ceux qui s'y intéressent encore savent qu'elle a été transformée en champ de ruines, que de nombreuses villes magnifiques ont été détruites et des monuments et sites archéologiques perdus à jamais (sans parler de toutes les vies humaines sacrifiées, par definition irremplaçables). La Syrie est toujours un gros problème. C'est un tel problème qu'il ne sera sans doute pas résolu avant des années. Les réfugiés syriens sont un gros problème. Ils ne seront pas absorbés par la vie normale dans leur pays d'accueil comme des expatriés normaux avant de nombreuses années non plus. Alors on est en droit de se poser la question... Qu'est-ce que cela a accompli, d'attendre et d'observer, en gardant ces ambassades ouvertes et en activité, pendant trois ans, après le début des manifestations ? Cela a-t-il permis de sauver des vies ou d'éviter des catastrophes ? Non, bien sûr que non. Cela a juste fourni une bonne dose de confiance au régime d'Assad et à ses alliés pour continuer à faire ce qu'ils faisaient sans être trop incommodés. Et parmi toutes leurs exactions, il y en a une qui devrait vous sembler d'actualité, puisque nous en parlons sur ce blog depuis plusieurs semaines, (note de la traductrice : il y a d'ailleurs un article de Jean-Pierre Perrin sur Mediapart aujourd'hui même à ce sujet) : massacrer des kurdes. Prenons simplement l'utilisation récente contre des civils kurdes de l'arme chimique connue sous le nom de "CS", le gaz vert clair, qui est marqué "Irritant" sur les capsules qui restent entre les mains de ses victimes... Rien qu'avec cela, nous pouvons clairement affirmer que le gouvernement iranien a franchi les limites internationalement admises, sur les armes interdites, le génocide, les crimes contre l'humanité, etc. Et pourtant, la République Islamique ne se sent absolument pas menacée dans sa légitimité, que ce soit ici à Téhéran, la capitale, ou au Kurdistan iranien, ou dans les diverses régions de Syrie, d'Irak, du Yémen et d'autres encore où il jouit d' une influence militaire et idéologique. Non seulement les médias occidentaux hésitent encore à être totalement transparents sur ce qui se passe dans ces régions, mais aucun gouvernement n'a même décidé d'envisager une action politique, à l'exception de "sanctions" . Les sanctions sont la chose même à laquelle pratiquement tous les Iraniens, quelle que soit leur position politique, ont toujours été opposés. Pratiquement tous ceux qui connaissaient une chose ou deux sur l'Iran ont dit haut et fort: "ne le faites pas".... mais les occidentaux l'ont quand même fait, et maintenant, il est trop tard pour se retirer de cette politique. Supprimer les sanctions maintenant ne fera qu'empirer les choses. Alors que se passera-t-il si les mêmes erreurs commises en Syrie se répètent aujourd'hui avec l'Iran ? Le gouvernement iranien se sentira-t-il plus confiant et verra-t-il que ses méthodes fonctionnent et continuera-t-il à gazer le peuple kurde comme s'il utilisait des pesticides sur des parasites? Je ne vois pas pourquoi il s'en priverait. L'Europe sera-t-elle confrontée à une vague encore plus importante d'Iraniens migrant vers l'ouest, à pied, en bateau, et de toutes les manières imaginables ? Je pense que oui, ils le feront. Peut-être pas tout de suite, mais regardez la chronologie des événements en Syrie... trois ans ne se sont pas encore écoulés ici. Des choses comme celles-ci se développent plutôt lentement, et au moment où les pays européens commenceront à ressentir l'impact de leurs erreurs, les politiciens responsables pourraient déjà être un vieux souvenir. Si la situation n'était pas si grave ou si terrifiante, il ne se trouverait pas autant d'Iraniens pour réclamer la fermeture des ambassades. Surtout parmi ceux qui en utilisent réellement les services consulaires. Ils ne réclameraient pas qu'on faire les ambassades qui délivrent les visas dont ils ont besoin pour voir leur famille en Europe ou au Canada, où pour aller y poursuivre leurs études, s'ils ne pensaient pas que quelque chose de très grave était sur le point de se produire (je suis moi même un client régulier, et je m'évertue pourtant ici à vous convaincre de faire fermer l'ambassade qui me rend possible de rejoindre ma propre femme). Les atrocités sont dispersées dans tout l'Iran. Il y en a tellement que nous ne pouvons pas rester à jour, même quand internet fonctionne, nous manquons toujours, forcément qui un massacre, qui un meurtre, qui une disparition suspecte ou une arrestation arbitraire. Je crains qu'une fois la coupe du monde terminée, le monde ne soit soudain confronté à une réalité qu'il ne peut pas gérer. L'Iran est beaucoup plus grand que la Syrie. L'Iran a déjà environ huit millions de ses ressortissants vivant à l'étranger. A ce jour, les Iraniens qui vivent dans les pays européens sont pour la plupart relativement riches et instruits. Ce sont ceux qui avaient jusqu'à présent les moyens de franchir les frontières avec facilité et dans la légalité. Ils forment une grande communauté qui contribue littéralement à tous les aspects du développement des sociétés du "monde libre" . Je crains que cette réalité ne change. Je crains qu'après le clap final de cette étrange coupe Qatarie, le monde ne voie soudainement qu'un nouveau paradigme est en place au moyen-orient. Oui, la fermeture des ambassades est un pari. Et si ça n'avait aucun effet ? Et si la fermeture des ambassades ne faisait que couper nos moyens de comprendre ce qui se passe en Iran et d'aider les citoyens étrangers et binationaux ? Nous en somme conscients, si les ambassades sont fermées, cela ne produira peut-être aucun gain et ne fera que couper les ressources. Oui, c'est un pari. Un risque même. Peut-être même que cela poussera le gouvernement iranien à aller encore plus loin en termes de violence. Mais je continue pourtant à penser que ce pari, ce risque, doivent être pris, au moins par certaines nations. Cette confiance qu'affiche le régime, il faut la leur retirer. Et en retour, les Iraniens révolutionnaires doivent sentir que la "solidarité" n'est pas un vain mot. La solidarité doit signifier quelque chose. Cette solidarité, c'est l'unité de ceux qui croient en la démocratie, en la liberté, et en l'égalité. Cette solidarité, qui, dans la devise de la France, a pour nom "fraternité". Ces mots ne devraient-ils rester qu'un mirage pour ceux qui versent leur sang sous leur bannière? Ce sera le cas, si rien n'est fait. Le peuple d'Iran finira par voir toutes ces choses comme un mirage, et les gens feront leurs valises et commenceront à marcher vers le nord-ouest. Tous ces gens prêts à mourir pour la liberté de leur patrie, ils finiront par la quitter s'ils ne parviennent pas à continuer à y vivre, parce qu'ils n'ont plus ni eau, ni essence, ni masques à gaz, ni médicaments, ni espoir! Le monde d'aujourd'hui n'est pas un monde partagé en pays ou en nations. Le monde d'aujourd'hui est partagé entre ceux qui croient à la liberté partagée , aux droits des femmes, et à la valeur de la vie, et ceux qui croient au pouvoir brut, à la suprématie masculine et à l'emprise religieuse ou idéologique. Le monde d'aujourd'hui est partagé entre celles et ceux qui veulent contrôler leur propre corps et ceux qui soumettent les femmes et en font de simples outils de reproduction. En Iran ce n'est pas un hasard si les slogans et les chansons jouent sur les mots "vatanam, va tanam" (ma patrie, mon corps). Tout cela n'est pas une question de frontières, de taxes ou de commerce. Le monde d'aujourd'hui n'est pas un monde dans lequel les gens se battent pour des territoires. Les choix que nous faisons ne concernent pas la qualité de vie de quelques-uns de nos concitoyens. Cette révolution représente plus que notre patrie, elle représente l'identité de la race humaine. La vraie coupe du monde se joue ici, en Iran. Croyez-moi il n'y a pratiquement aucune société qui aime le football plus que les Iraniens. Il faut vraiment que les choses aillent terriblement mal pour qu'ils refusent de regarder la coupe du monde. Lors de l'épouvantable tremblement de terre de 1990, des Iraniens qui avaient perdu des membres de leur famille et vu leurs maisons dispqraître en un instant, ont regardé l'Allemagne jouer, cette même nuit, sous des tentes et même à la belle étoile, sur des télés posées à même le sol. Ce sont ces mêmes gens qui refusent aujourd'hui d'allumer leur télé, et qui acclament l'équipe d'Angleterre. C'est le signe que quelque chose cloche vraiment. Le peuple iranien a littéralement désavoué son équipe nationale, les seuls héros qu'il leur restaient. Lorsque le nez du gardien de but s'est cassé lors du match contre l'Angleterre, ils sont sont collectivement exclamé "retour de karma" parce que quelques jours plus tôt, ledit gardien de but s'était incliné devant le président iranien. Peu importe à quel point je me creuse la tête, je ne peux pas trouver autre chose à dire qui fasse plus sens que cela: la confiance est importante. L'équipe iranienne est entrée dans l'histoire: ils ont pris 6 buts. Ils n'avaient jamais subi une telle défaite au cours des 70 dernières années, dans aucun match international. La raison : le manque de confiance – avoir été désavoué. Le peuple iranien ne vous demande pas d'argent pour financer sa révolution, alors qu'il a les poches vides, il ne vous demande pas d'armes pour se défendre, alors qu'il affronte la répression à mains nues, il ne vous demande pas de troupes ni de soutien militaire pour le sauver de sa propre "armée de gardiens de la révolution". Nous vous demandons simplement de faire à la République Islamique ce que nous avons fait à la Team Melli. Retirez lui votre confiance, votre écoute, et vos ambassadeurs. Faites ce pari, prenez le risque de miser, sur les femmes, la vie, la liberté.



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