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Photo du rédacteurSirine Alkonost

Voix d'Iran - Si tu es un homme, viens en Iran et sois une femme


Un nouveau témoignage de Téhéran, avec des morceaux de Poésie dedans. Il y a à nouveau des articles sérieux sur cette Révolution qui réclame son nom, dans les grands organes de presse (et en une de Mediapart). Lisez, partagez, réagissez.

Si tu es un homme...
Je ne sais pas combien de jours cela fait exactement, qu'ils ont coupé l'accès à la plupart des applications et des sites Web. Enfin, ce qu'il en restait de toute façon. Cela fait peut-être 20 jours.
À présent, comme je m'y attendais, cela commence à nous sembler normal. Nous ne pouvons pas continuer à attendre indéfiniment que l'accès revienne, et nous régressons donc de 15 à 20 ans, jusqu'à l'époque où il fallait monter dans une voiture et nous rendre à un endroit, juste pour récupérer un morceau de papier ou pour montrer un document à quelqu'un.
Certaines personnes trouvent des moyens de se connecter de temps en temps. Un VPN peut fonctionner, ici et là, pendant quelques minutes ou quelques heures, mais ça n'est jamais stable. Lorsque cela se produit, la vitesse de connexion est toujours ralentie et cela ne fait pas de miracles.
La chappe sur notre pays demeure, alors que nous manifestons, et nos manifestations se heurtent à des tentatives brutales, violentes et illégales de nous faire taire. Mais on ne va pas s'arrêter. Tout cela ne va pas disparaître.
Je suppose que les gens commencent également à s'habituer à cette idée, et ceux qui étaient encore dans le déni commencent à reconnaître l'existence de ces manifestations, qui ont commencé il y a plusieurs semaines.
Certaines personnes semblent très réticentes à l'accepter. Peut-être tout simplement parce que ce n'est pas très pratique pour eux. Pour être honnête, ce n'est pas très pratique pour nous non plus. Surtout avec tout le trafic, ou le bruit et le danger d'être dans la rue, quand n'importe quel imbécile pourrait venir vous tirer dessus, peut-être juste parce que vous avez klaxonné.
C'est exactement ce qui s'est passé il y a quelques jours à Sanandaj, avant qu'ils ne transforment toute la ville en zone de guerre: ils ont tiré dans la tête d'un gars, au volant de sa voiture, parce qu'il klaxonnait en soutien aux manifestants. Les photos sont horribles.
Mais bon voilà....nous n'avons pas Internet, et nous avons des obligations et des responsabilités et du travail et nous avons nos malades à soigner, et nous avons nos enfants à protéger, dont certains ont été littéralement kidnappés dans leurs écoles par les forces armées et retenus dans des lieux dont les familles n'ont pas été informées.
Il est évident que les événements récents ne resteront pas sans conséquences, contrairement à ce que le guide suprême aime à raconter. Il conseille publiquement aux plus hauts responsables de ne pas se laisser distraire par les récents "événements mineurs", de garder à l'esprit les relations internationales et de faire "de grandes choses" . Ces manifestations lui importent peu.
Son public n'a pas l'air trop convaincu, tous ces politiciens assis façon "distanciation sociale", sur des chaises disposées à un mètre et demi les unes des autres, portant des masques, et dodelinant du chef comme une bande de pantins désarticulé.
Pour nous autres simples citoyens, la vie et le travail deviennent de plus en plus compliqués à mesure que nous avançons sur ce chemin. Il devient de plus en plus évident que tout le monde finira par être touché. Des centaines d'entre nous sont arrêtés chaque jour. Il est impossible de prédire qui pourrait être arrêté et où.
Chaque jour, oui, nous apprenons qu'un comédien célèbre, ou un voisin ou un ami ou la mère de quelqu'un a été arrêté. Des gens disparaissent. Certains réapparaissent, mais quand on les revoit c'est comme si leur âme avait été extraite de leur corps. Leurs âmes se promènent peut-être encore dans ces salles où ils ont été battus et violentés de toutes les manières possibles. Ils reviennent mais c'est comme s'ils avaient vu des choses qu'ils n'auraient jamais dû voir.
Notre vie quotidienne est de plus en plus marquée par l'absence d'accès à Internet et par les manifestations. Sans parler des nombreuses personnes effacées de notre paysage.
Enseignants, barbiers, scientifiques, étudiants, portés disparus, ou morts, ou complètement déprimés, prostrés sous une couverture, quelque part dans un hôpital surpeuplé.
D'ailleurs c'est à l'intérieur des hôpitaux que tout le monde se retrouve de façon impromptue et désordonnée. Les gens qui nous ont battus et les gens que nous avons battus en retour. Eux aussi viennent panser leurs blessures. Bien sûr, nous n'y allons que si les blessures sont impossibles à soigner à la maison, personne ne veut éveiller le moindre soupçon. Des gardes attendent les gens à l'extérieur des salles d'opération. De sorte que lorsque les blessés sont réparés, ils puissent être emmenés à l'isolement, où ils pourront être démolis à nouveau. Tout va très vite.
Les choses se passent en 10 minutes, 5 minutes, peut-être même 2 minutes. Les événements ne prennent pas toujours une journée complète. Une rue devient une zone de combat pendant quelques minutes seulement. Dans ces minutes, les destins se décident.
Dans ces minutes, les Valkyries sont en vol. Tant de choses se passent et nous passons à côté. Nous en percevons parfois les traces, par bribes, à travers les vidéos et les photographies, prises à la va-vite par des amateurs.
Dans la courte durée de ma vie, j'ai vu une révolution, une guerre, que j'ai vue commencer et se terminer, et les vagues de 2009 et 2019. Maintenant, je suis témoin de cette révolution.
Que vais-je voir ensuite ? je me le demande. Et quand mon heure viendra-t-elle ? je me le demande.
Les manifestations d'hier soir ont duré plus longtemps, dans les quartiers les plus pauvres de Téhéran. C'est difficile à comprendre, même pour moi: pourquoi eux ? Pourquoi ce sont ces gens les plus pauvres, des quartiers les plus pauvres, qui ont toujours la fin des choses, quoi qu'il arrive. Peu importe qui est au pouvoir, peu importe qui a quels droits, ces gens écoperons toujours de la fin amère, parce qu'ils sont pauvres.
Les pauvres sont des pauvres, même s'ils sont en France ou en Allemagne. Mais quand même c'est mieux, même si on est pauvre, de pouvoir prendre une bière, de temps en temps, je crois.
Ici en Iran, vous ne pouvez pas simplement aller dans un magasin et choisir une canette de bière fraîche dans le réfrigérateur. Ce serait bien si c'était possible... mais ces pauvres gens, ils ne boivent pas de bière de toute façon ! Et ce n'est pas pour ça qu'ils sont descendus dans la rue.
Ces quartiers pauvres, ça fait longtemps qu'ils sont à bout. Il y a quelques jours, dans un de ces quartiers, j'ai rencontré une jeune femme, qui donne de son temps pour aider les enfants qui se présentent à l'hôpital avec diverses maladies. Surtout des enfants travailleurs. Ceux qui vendent des choses aux carrefours ou essuient les vitres des voitures.
Enfin, ils mettent juste leur chiffon graisseux sur le pare-brise pendant que le conducteur désespéré les supplie de ne pas le faire, mais voilà, il y va de son "swish"... et là votre pare-brise est foutu ! Maintenant, vous devrez le laver avec du savon, pour de vrai ! Et pourtant, vous payez quand même l'enfant pour cette petite agression. Et l'enfant prend l'argent et passe à la voiture suivante.
Dans les hôpitaux du sud de Téhéran, ils arrivent, donc, ces gamins, avec des blessures, des fièvres, des infections, toutes sortes de choses. Cette belle femme bienveillante, telle une fée magique, les y attend. Et quand ils sont sur le point d'être expulsés de l'hôpital, simplement parce qu'ils n'ont pas d'argent, elle s'en occupe. Elle a une petite "boîte" comme elle l'appelle. Sa petite boîte est un compte bancaire. Les gens y mettent de l'argent. Les médecins là-bas à l'hôpital, ou d'autres patients, mettent de l'argent dans la boîte.
Lorsqu'une mère se présente avec un enfant fiévreux (et souvent ces mères sont elles-mêmes des enfants), la boîte leur sauve la mise, aussi.
Et ces gens, dans ces quartiers, ils manifestent maintenant, aux côtés des travailleurs du pétrole dans le sud, des enseignants et des étudiants dans les écoles, des villes kurdes, des commerçants, des avocats, n'importe qui vraiment. Il est difficile pour n'importe quel policier de prédire qui il va capturer ou tuer aujourd'hui. Ça pourrait être n'importe qui. «Venez parler» disent certains de ces responsables. « Parler comment ? » nous demandons, qui pourrait parler à qui ? Et où?!
Cela me rappelle un incident dans une fac de l'ouest de l'Iran, il y a quelques années. Le directeur a invité les manifestants étudiants à « venir parler », et les étudiants ont envoyé leurs représentants. Les étudiants les plus intelligents, les mieux notés aux tests, les plus audacieux, les plus qualifiés et les plus sages, ils sont allés au bureau du directeur pour parler.
La porte du bureau a été verrouillée une minute après leur arrivée, par le directeur lui-même, puis la police est arrivée c'est elle qui leur a "parlé".
« Mort à la République islamique », entend-on aujourd'hui, depuis toutes les fenêtres et tous les toits. "Mort au dictateur" entend-on crier, avec tant de colère et de haine, qu'il est même impossible de parler dans mon appartement, de 9h00 à environ 9h15, tous les soirs.Il faut attendre que ce soit fini. Dîner, entretiens, rendez-vous, tout est suspendu chaque soir. Les femmes au foyer planifient leurs repas juste après ces séances, afin qu'elles puissent être présentes et crier, avant de pouvoir manger. De loin, un homme crie "Mort au dictateur", et ma voisine répond : "Mort au dictateur !". Alors l'homme dit «Femme – Vie – Liberté» et la Femme lui fait écho. Maintenant, il sait qu'elle l'entend.
Nous ne savons pas où il se trouve. À quelle distance il est, mais nous l'entendons, et il nous entend. Chacun crie, pendant quinze minutes. Après cela seulement, nous pouvons aller manger.
Nous voyons des images de fontaines dans les parcs teintées en rouge. Un artiste, un de nos génies locaux, verse ici et là de l'encre rouge dans ces bassins ou ces fontaines ! Appelons ce génie, Moïse ! Nous vivons des événements bibliques ici à Téhéran, et notre pharaon, le guide suprême, nous considère comme ses sujets minuscules et sans importance.
Le temps connaît des virages ici. Je sens qu'il y aura bientôt une ouverture dans le ciel, comme une porte des étoiles ou un trou de ver, nous délivrant de ce monstre maléfique.
Cela pourrait-il vraiment arriver ? Échouerions-nous, tout simplement, ou rencontrions-nous brutalement une nouvelle réalité dans la vie, là où ce pays, cette vieille civilisation se termine ? Cela peut-il vraiment être la façon dont tout cela se termine?
Le croiriez-vous encore, si je disais que le guide suprême tiendra ses promesses, et que la république islamique restera, et qu'elle s'assurera, comme elle l'a explicitement promis, que personne n'aura plus jamais accès à Instagram, WhatsApp, Telegram, Imo, Signal, Viber e tutti quanti.
Une dystopie orwellienne complète, prête à se refermer sur nous en moins de 3 mois ?
Devons-nous y croire ?
Devrions-nous nous préparer à cacher et protéger les livres, les disques, les peintures, les sculptures et les poèmes ?
Voici une ligne de poésie, qui a trouvé son chemin jusqu'à moi, écrite par notre héros littéraire vivant, poète et érudit, Mohammad-Reza Shafiei Kadkani :
« Venez en Iran si vous êtes un homme, venez en Iran et soyez une femme ».
(Ce n'est pas ma faute si les poètes iraniens ont de longs noms étranges, mais je m'excuse et vous suggère de l'appeler simplement "Kadkani", ça ira bien) .
Bref, au cas où nous serions réellement sur le point d'entrer dans cette dystopie orwellienne, je me permets de commencer par sauver ces quelques lignes:
Si tu es un homme, viens en Iran et sois une femme
Viens mon ami sois ici dans notre pays
Sois ici pour partager mon bonheur et mes peines
Les femmes se battent ici comme des lions féroces
Si tu es un homme, viens et sois une femme ici
Si tu es un homme, viens en Iran et sois une femme
Sois un adversaire des dragons et des démons
Hé, Bijan, Siavosh ! Salut, Farhad,
Sois Manijeh, ou Nassim ou Yassamane
Regarde ici nous avons une armée d'hommes rhinocéros
Si tu es un lion, oppose-toi aux rhinocéros
Si tu es une Roudâbeh, dans la bataille des prêtres,
Ne sois pas un, mais cent héros
Affronte cent injustes
Sois une femme, au corps à corps
Dans chaque coin se cache un sanglier
Sois prêt pour des embuscades venant de toutes parts
Pour combattre le loup, armé jusqu'aux dents
Ouvre ton armure, porte une simple tunique
Les ennemis brandissent des lames et de l'acide
Viens et sois prêt à brûler
De la combustion de leurs seaux d'acide

Viens et sois sans yeux, sans nez ou bouche
L'histoire des hommes de la montagne de fer est ancienne
Viens et sois une femme de la montagne de fer
Défends toi contre l'agresseur
Et puis danse, pendu à des cordes,
Être un chevalier n'est plus un nouveau rite
Sois une femme et brise les anciens rites
L'héroïsme à cette époque n'est qu'un mot
Si tu es un homme, viens en Iran et sois une femme.

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