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Photo du rédacteurSirine Alkonost

Voix d'Iran - Tehran Calling



« Nous ne pouvons voir ce à quoi nous sommes confrontés que dans nos propres bulles. Maintenant que tous les autres moyens de circulation de l'information ont été restreints, nous en savons encore moins. Nous sommes détenus dans une bulle d'information. Pas complètement scellée, bien sûr mais qui nous maintient déconnectés, détachés comme un membre amputé de son corps. »

Voici une autre réaction que j'ai réussi à obtenir, directement de Téhéran, en réponse aux questions que j'ai reçues dans la vraie vie et sur les réseaux sociaux, et que j'ai transmises il y a quelques jours. J'ai commencé à retranscrire et traduire des conversations téléphoniques, que je partagerai à partir de demain.
L'Iran continue de crier dans le vide... Nous entendrez-vous ?
Merci d'avoir posé ces questions. Veuillez noter que je ne peux pas être très réactif dans les circonstances actuelles, mais je vais essayer de dire ce que je pense qu'un journaliste déterminé pourrait utiliser, ou que des citoyens inquiets devraient savoir.
Même si je sais qu'il est important de connaître l'identité d'un correspondant, je ne peux pas être identifié pour des raisons évidentes. Je pourrais faire face à des accusations telles que "sédition" ou "complot avec des éléments ennemis" ou des choses similaires, dont la punition serait des aveux télévisés et de nombreuses années d'emprisonnement, et même pire. Merci de comprendre ma situation.
D'autre part, je l'ai déjà dit, je ne suis pas un militant politique, je ne représente personne, je n'ai jamais été élu à quoi que ce soit, et je ne m'exprime qu'en tant que citoyen.
1) Sur les raisons pour lesquelles nous descendons massivement dans la rue.
Une très grande majorité de la population en a assez de ce gouvernement. Si vous regardez l'histoire des manifestations et des élections qui ont eu lieu en Iran au cours des dernières décennies, vous verrez que nous sommes passés d'un désir général de «réforme» à un objectif de renversement pur et simple du système.
Je ne suis pas différent des autres. Je suis fatigué et à bout de nerfs. Et je ne vois d'espoir nulle part, à moins de renverser ce régime. Quoi qu'il nous en coûte.
Pour faire une petite liste, cependant...
- L'absence d'accès à toutes les libertés sociales et politiques
- le degré abyssal et toujours croissant de la corruption, avec des chiffres astronomiques qui feraient rougir n'importe quelle star du détournement de fonds dans l'histoire de l'humanit - le mode de vie hypocrite de l'élite - presque tous les puissants de ce gouvernement, dont la famille et les enfants se trouvent souvent dans les régions les plus riches du monde occidental, profitant de tout ce que "le monde libre" a à offrir
- tout cela et plus encore, combiné à des années de crise d'une économie imprévisible, alourdie par des sanctions qui sont devenues écrasantes même pour la classe moyenne supérieure ces jours-ci, les répressions sévères, les condamnations judiciaires à des années d'emprisonnement, les exécutions et les commentaires idiots ou scandaleux sur tout et n'importe quoi, allant des simples faits divers aux "réalisations scientifiques" audacieuses (comme l'invention d'un appareil qui détecte le virus COVID-19 à une distance de 100 mètres),
Je ne sais pas! Je pourrais continuer toute la nuit...
Ce dernier déclencheur, la mort de Mahsa... c'est la goutte qui a fait déborder les coeurs.

Un rappel de la mort de Neda (en 2009), bien sûr, mais cette fois, cela ne s'est même pas produit lors d'une manifestation (même pacifique), mais littéralement pour quelques mèches de cheveux dépassant d'un foulard.
J'ai vu tout mon pays fondre en larmes, une fois de plus, lorsque la nouvelle de la mort de cette pauvre jeune fille nous est parvenue.
Les gens en ont marre et sont furieux. J'en ai marre et je suis furieux.
2) Sur ce qui se passe exactement, dans les rues (que font les manifestants, quelles réactions rencontrent-ils ? )
Personne ne sait exactement, en fait. Nous ne pouvons voir ce à quoi nous sommes confrontés que dans nos propres bulles. Maintenant que Whatsapp et Telegram et tous les autres moyens de circulation de l'information ont été restreints, nous en savons encore moins.
Nous sommes détenus dans une bulle d'information. Pas complètement scellée, bien sûr (grâce à certains VPN ou TOR qui fonctionnent toujours - fonctionnent parfois cependant, et ont besoin de compétences et de meilleurs équipement et connaissances que ce dont dispose la plupart des gens) mais qui nous maintient déconnectés, détachés comme un membre amputé de son corps.
L'information trouve toujours son chemin à travers le black-out cependant. Chaque jour la rumeur se répand que le rendez-vous est à 17 heures, à un carrefour ou sur une place à proximité.
Nous mettons nos téléphones en mode avion pour qu'ils ne puissent pas être localisés dans le système, et quand nous arrivons, petit à petit une foule se forme. Un ou deux d'entre nous vont se lever et crier un slogan, comme "Mort au dictateur !" puis la foule explose.
Des troupes sont acheminées dans la ville par meutes, pour affronter une vague après l'autre. Ils sont capables de se précipiter, de contourner le trafic, d'utiliser des "voies spéciales" et des "voies de bus". Ils arrivent avec divers types d'équipements et il s'agit généralement de beaucoup de gaz lacrymogènes et de fusils à plomb - avec des plombs métalliques. Les cicatrices qu'ils laissent sur le corps des manifestants sont reconnaissables entre mille.
Parfois, des coups de feu directs sont utilisés. Toutes les troupes ne sont pas autorisées à porter de vraies armes. Des pistolet électriques et des canons à eau, etc. sont également disponibles.
Contrairement à la fois précédente, je n'ai pas encore vu (ou entendu parler) de snipers.
Normalement, ceux qui sont capturés disparaissent pendant au moins deux ou trois jours avant que des nouvelles ne nous parviennent . Ils seront lourdement condamnés plus tard. Même exécutés, comme Navid Afkari par exemple.
Les manifestants savent tous que nous nous exposons à la torture et à la peine de mort. Il est étonnant de constater la bravoure de certains face à ces dangers.
Les voitures klaxonnent pendant des heures et des heures chaque jour et essaient de créer du trafic. Mais les troupes de "maintien de l'ordre" sont normalement à l'abri de la circulation car elles ont leurs voies séparées. Ces "voies spéciales" ont été créées pour la plupart après les manifestations de 2009.
3) sur la situation concernant l'accès à Internet, au téléphone, à la télévision.
En bref, la situation est terrible !
Il ne reste presque plus rien en termes d'accès à la communication. Le réseau de téléphonie fixe est toujours opérationnel et la communication par e-mail reste possible (sauf quand ils coupent complètement l'accès, de 16h à 22h) . Mais ni l'un ni l'autre n'est "sûr" en termes de confidentialité.
Le reste, ce n'est plus vraiment possible.
Ils ne cessent de changer la façon dont le système est mis en place. Si vous trouvez un moyen de faire fonctionner votre navigateur TOR, par exemple, cela peut durer dix minutes, ou une journée, puis il faut recommencer à tâtonner. Certains VPN très efficaces sont rendus complètement inutiles.
Mon Instagram ne montre plus de nouvelles publications depuis une semaine maintenant. Je n'ai aucune idée de si je pourrai même envoyer un e-mail dans quelques jours. Rien n'est prévisible.
La télévision par satellite est disponible, mais les utilisateurs sont confrontés à des bruits parasites aléatoires et tournants.
4) sur l'évolution de la situation au cours des derniers jours/heures
Je ne sais pas ce qui peut se comparer à ces jours dans nos vies ici en Iran. La République islamique est prête à assassiner ses propres citoyens dans la rue, juste pour prouver qu'ils "n'ont pas tué Mahsa". C'est réellement devenu ridicule et scandaleux à ce point. Ils ne reculeront devant rien pour étouffer ces protestations. Ils vont utiliser tous les pouvoirs dont ils disposent.
Et s'ils réussissent, quand ils auront fini, ils se vengeront. Les conséquences d'une défaite seront énormes.
Ceux qui le savent et qui en ont le courage se battent avec beaucoup de conviction et de détermination. Cette confrontation est vraiment très différente de toutes les précédentes. Des femmes meurent littéralement sur les trottoirs juste pour préserver le droit à leur propre intégrité humaine, juste pour ne pas avoir à être mortellement frappées à l'arrière de la tête, parce qu'un foulard a glissé et est tombé sur leurs épaules pendant un instant. Des hommes, des adolescents, meurent à leurs côtés, en nombre, pour avoir partagé leur combat.
Les affrontements physiques sont très violents, très vastes, éparpillés, et le régime a fait appel à de très jeunes hommes, peut-être même des lycéens de 16-17 ans pour revêtir leurs effrayantes tenues de combat.
Ces enfants sont eux-mêmes des victimes d'abus, par leurs supérieurs. Ce qui s'est passé dans les rues peut être vu sur de nombreuses vidéos et photographies. Nous espérons qu'elles se répandront largement à travers le monde.
Les manifestants sont d'âges et de types très divers. Et les slogans sont devenus presque entièrement très radicaux : "Ceci est le dernier message. Le régime est la cible maintenant" D'après ce que j'ai vu, on entend "Femme - Vie - Liberté", et depuis hier un nouveau slogan lui fait parfois écho, dans un dialogue poignant entre les manifestants qui le scandent, et les manifestantes qui leur répondent "Homme - Patrie - Prospérité".
La durée moyenne de ces explosions de groupe ne dépasse pas 15 minutes avant l'arrivée des troupes et le lancement des gaz lacrymogènes.
Quand je parle aux gens autour de moi ces jours-ci, ils fondent en larmes au bout de quelques secondes. Il n'y a pratiquement rien d'autre à quoi l'on puisse penser. Surtout avec Internet tellement muselé et même complètement coupé pendant des heures, on ne peut pas vraiment travailler à quoi que ce soit.
Je décrirais cela comme un climat de "frustration" - Une quantité de frustration que vous ne pouvez pas imaginer - Les gens en ont marre, ils sont en colère, fatigués, blessés et coincés.
Et nous sentons bien que nous pourrions très facilement finir par être massacrés, derrière un rideau d'obscurité et de silence.
Nos vies comptent. Soyez notre voix.

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