L'actualité m'amène à une piqûre de rappel, sous la forme d'une mise à jour de ce texte de l'hiver dernier, car rien n'a vraiment changé depuis, et il me semble que ces mots doivent plus que jamais être entendus, ces visages gardés dans la lumière, et ces prénoms répétés, contre l'obscurité et l'oubli.
Voilà plus d'un an que nous sommes Femme, nous sommes Vie, nous sommes Liberté, contre la violence sexuelle, mortifère et liberticide de la République Islamique, et l'actualité m'amène à une piqûre de rappel, sous la forme d'une mise à jour de ce texte de l'hiver dernier, car rien n'a vraiment changé depuis, et il me semble que ces mots doivent plus que jamais être entendus, ces visages gardés dans la lumière, et ces prénoms répétés, contre l'obscurité et l'oubli.
L'an dernier, empruntant les mots du poète Shafiei Kadkani, je vous invitais métaphoriquement à "venir en Iran", et c'est ce que je fais aujourd'hui, à nouveau, en faisant venir à vous l'Iran de nos "Shir-Zan" (femmes-lionnes).
Les mises à jour apparaissent en gras dans le texte.
Viens en Iran, si t'es un homme,
Viens et sois Nika,
qui avait à peine dix-sept ans lorsqu'elle est descendue dans la rue et a grimpé sur des capots de voitures et sur des poubelles, mettant le feu à son foulard et l'agitant vers la police tout en scandant "femme vie liberté" Nika a été pourchassée, battue, enlevée et rendue à sa famille dans une housse mortuaire.
Viens et sois Maedeh, Setareh, Sarina, ou une de ces adolescentes qui font exactement la même chose, à chaque manifestation à travers le pays depuis près de six mois maintenant,
Alors qu'elles savent ce qui est arrivé à Nika.
Viens en Iran si t'es un homme.
Viens et sois Asra.
Qui est allée à l'école un jour et a reçu pour consigne de chanter une chanson de propagande à la gloire du dictateur, avec ses camarades de classe, devant des représentants du régime. Les élèves et même des enseignants, ont été poursuivis et frappés à coups de matraque pour avoir refusé d'obtempérer.
Certaines ont dû être hospitalisés
Nika a été pourchassée, battue, enlevée et rendue à sa famille dans une housse mortuaire.
Viens et sois Maedeh, Setareh, Sarina, ou une de ces adolescentes qui font exactement la même chose, à chaque manifestation à travers le pays depuis près de six mois maintenant,
Alors qu'elles savent ce qui est arrivé à Nika.
Nous pleurons depuis quelque jours là mort d'Armita Garavand, lycéenne de 16 ans, d'origine kurde, victime de la police du hijab dans le métro de Téhéran il y a plus d'un mois et gardée depuis dans le coma dans un hôpital militaire, pendant que tout son entourage et les journalistes s'intéressant à son cas subissaient pressions et menaces.
Viens en Iran si t'es un homme
Viens et sois Asra.
Qui est allée à l'école un jour et a reçu pour consigne de chanter une chanson de propagande à la gloire du dictateur, avec ses camarades de classe, devant des représentants du régime. Les élèves et même des enseignants, ont été poursuivis et frappés à coups de matraque pour avoir refusé d'obtempérer. Certaines ont dû être hospitalisés
Asra a été frappée trop fort: elle a été rendue à sa famille dans une housse mortuaire.
Viens, et sois une de ces écolières qui vont encore à l'école tous les matins, et refusent de se couvrir les cheveux, et refusent également de se laisser imposer la propagande du régime, et risquent l'empoisonnement au gaz et les abus sexuels.
Alors qu'elles savent ce qui est arrivé à Asra
Il y a quelques semaines, à Tabriz, Roya Zakeri, 22 ans, s'est assise en pleine rue, sans foulard, et à crié des slogans contre le régime. Après que la vidéo soit devenue virale, avec le hashtag "où est la fille de Tabriz ? ", on a fini par apprendre qu'elle avait été arrêtée et internée. Nous n'avons pas de nouvelles depuis..
Dans le même temps, les alertes aux empoisonnements au gaz dans les écoles ont repris dans plusieurs villes à travers le pays, depuis la rentrée des vacances scolaires, et la dernière recensée date d'hier, avec sept écolières reçues aux urgences à Shahr-e kord.
Viens en Iran si t'es un homme,
Viens et sois Nasrin
Qui se bat sans relâche pour les droits humains, les droits des femmes et les droits des prisonniers politiques, au point d'en devenir une elle-même et d'endurer des années d'isolement.
Sa santé est fragile et de temps en temps elle est libérée sous caution ou assignée à résidence, mais à chaque fois, au détriment de sa propre sécurité et de celle de sa famille, elle reprend la parole, toujours, exigeant la justice, haut et fort,
Nasrin retournera en prison, encore et encore, et continuera à parler quand même.
Viens et sois Atena, Fatemeh et tous les autres avocats et défenseurs des droits humains qui continuent d'être envoyés en prison. Encore et encore.
Alors qu'ils savent bien comment ça finit.
Nasrin Sotoudeh est à nouveau en prison depuis quelques jours, après avoir assisté aux obsèques d'Armita Garavand, la jeune fille dont je parlais au début de ce billet. Elle a entamé une grève de la faim et ne prend pas ses médicaments. Sa vie est en danger mais elle n'a jamais cessé de communiquer sur les droits humains, la liberté de l'art et de la presse, et la défense des prisonniers politiques.
Dans le même registre, Fatemeh Sepehri, dont je vous parlais dans un autre article, est toujours incarcérée, et des membres de sa famille arrêtés. Elle ne se tait pas non plus, et continue, malgré sa santé déclinante et le déni de soins, de protester contre les injustices du régime.
Viens en Iran si t'es un homme,
Viens et sois Niloufar et Elaheh qui ont écrit dans la presse sur la mort de Mahsa Amini, après qu'elle ait été transportée à l'hôpital avec tous les symptômes d'une hémorragie cérébrale, suite à son arrestation brutale pour port inapproprié de son foulard, et ont été arrêtées et emprisonnées pour avoir fait leur travail de journalistes.
C'était il y a des mois et elles risquent maintenant toutes les deux d'être exécutées pour espionnage.
Viens et sois Nazila, Elnaz et tous les autres journalistes qui essaient de faire leur travail et de raconter au monde ce qui se passe en Iran,
Alors qu'ils sont au courant de ce qui est arrivé à Niloufar et Elaheh.
Depuis, Niloufar Hamedi et Elaheh Mohammadi ont écopé de lourdes peines de prison lors d'un simulacre de procès pour espionnage. Nazila Maroufian, leur collègue journaliste qui avait publié un entretien avec le père de Mahsa Amini, a fait plusieurs séjours en prison où elle a été battue et agressée sexuellement. Elle a fini par quitter l'Iran, comme elle l'a expliqué dans une vidéo, le visage encore marqué par les mauvais traitements, et a trouvé asile en France. Elles sont toutes les trois les symboles d'un Iran se vide doucement, par le circuit de la répression ou celui de l'exil, de toutes les voix qui peuvent servir la cause de la vérité.
Viens en Iran si t'es un homme,
Viens et sois Aida, qui se rendait chaque jour au domicile des manifestants blessés après sa garde à l'hôpital, pour soigner leurs blessures sans les exposer au risque d'être arrêtés s'ils se rendaient aux urgences.
Aida a disparu lors d'une de ces rondes et a été rendue à sa famille dans une housse mortuaire.
Viens et sois un de ces médecins, infirmières ou même vétérinaires qui continuent de faire le sale boulot, réparant les peaux déchirées et les os brisés, nettoyant les yeux explosés et les plaies ouvertes, au cœur de la nuit, dans les arrière-cours et les salons à travers l'Iran...
Alors même qu'ils savent ce qui est arrivé à Aida.
Moins dramatique mais tout aussi symbolique (en Iran aujourd'hui, il n'y a pas de petit courage), il y a quelques jours, c'est une femme nommée Fatemeh Rejayi-Rad, qui s'est rendue à la cérémonie qui la récompensait comme "meilleure médecin de la ville d'Amol" sans porter le hijab obligatoire. Son titre lui a été retiré et elle est à présent interdite d'exercer.
Viens en Iran si t'es un homme,
Viens et sois Bahar, qui a posté en ligne ses peintures et distribué des flyers en faveur de la révolution, et a été poursuivie jusqu'à son appartement par des agents en civil avant d'être jetée par sa propre fenêtre.
Viens et sois Astiaj, qui a été condamnée à 10 ans d'emprisonnement, aux côtés de son petit ami, pour le crime d'avoir dansé ensemble devant la tour Azadi.
Viens et sois l'un des artistes anonymes qui risquent leur vie en diffusant leur art au grand jour, même s'ils savent ce qui est arrivé à Bahar et Astiaj.
Les intimidations, menaces, arrestations, interrogatoires, interdictions de circuler ou de travailler sont toujours monnaies courantes auprès de toutes les catégories d'artistes (avec semble-t-il une pression particulière sur les actrices) mais je choisis de donner ici sa place honoraire de "Femme iranienne", depuis longtemps acquise, à Toomaj Salehi, rapeur militant qui est à l'isolement et victime de tortures depuis un an aujourd'hui, et dont le courage n'a pas faibli.
Viens en Iran si t'es un homme.
Viens et sois Mahmonir (/Zeynab).
Mahmonir était le stéréotype de l'Insta-Mamma, avec une touche de fierté tribale en plus (oui, l'Iran est une nation de nombreuses tribus).
Mahmonir publiait fièrement photo après photo de ses deux garçons et de son mari Maysam en tenues tribales traditionnelles complètes, et des vidéos de son premier-né, l'ingénieur en herbe Kian, âgé de 9 ans, expliquant ses inventions et ses expériences.
Au cours des manifestations qui ont accompagné dans tout le pays la cérémonie de deuil marquant le 40e jour après la mort de Mahsa Amini, la voiture de Mahmonir a été prise pour cible par les forces du régime. Son mari Maysam a reçu une balle dans la colonne vertébrale et, à ce jour, n'a pas récupéré sa mobilité.
Kian a reçu une balle dans la poitrine et en est mort. Mais sa mère s'est assurée qu'il ne voie jamais l'intérieur d'une housse mortuaire.
Après 40 jours de manifestations et des dizaines d'histoires d'horreur, Mahmonir savait que les forces du régime ont pour habitude de retenir les corps de leurs victimes en otage, pour faire pression sur les familles, procédant parfois à des enterrements secrets dans des cimetières aléatoires, à leur insu.
Ainsi, alors que son mari blessé (et parfaitement ignorant du sort de leur fils) était emmené à l'hôpital, Mahmonir, qui devait encore s'occuper de son fils cadet de 4 ans, a fait du porte-à-porte, demandant à un voisin après l'autre des blocs de glace, pour empêcher le corps de son enfant de se décomposer en attendant l'enterrement.
(vous faire une pause de quelques secondes pour comprendre pleinement la phrase précédente...)
Lors des funérailles de Kian, Mahmonir a chanté une comptine sur sa tombe et a changé les paroles en insultes contre le régime tueur d'enfants. La police est intervenue et lui a pris le micro.
Mahmonir a juste chanté plus fort.
Des mois plus tard, après avoir traversé la douleur atroce de perdre son enfant, d'avoir dû annoncer la nouvelle à son père, puis de l'avoir ramené de l'hôpital avec une colonne vertébrale brisée et un cœur plus brisé encore, et malgré les menaces constantes du régime, Mahmonir, réclamait encore justice sur Instagram.
Après avoir été licenciée de son poste d'enseignante et convoquée au tribunal (tout comme son mari toujours alité), Mahmonir publiait toujours des photos, des vidéos et des poèmes, et réclamait justice.
A ce jour, elle ne s'est toujours pas tue.
Si tu es un homme, viens et sois Mahmonir.
Depuis que j'ai écrit ces lignes, Mahmonir s'est finalement tue. Assignée à résidence, après avoir protesté contre l'assassinat par les forces du régime de son jeune cousin, dans le cadre de la commémoration de la mort de Kian, elle a également désactivé son compte instagram. Il est vertigineux d'imaginer l'intensité des pressions et menaces qu'il aura fallu pour faire taire une telle voix. Tout l'Iran guette le moindre signe d'elle... "Où est Mahmonir ?"
Mais nombreuses sont celles qui continuent de s'unir pour réclamer justice, et à se battre en son nom, pour toutes les familles endeuillées.
Viens et sois toutes les mères iraniennes qui refusent de se taire, après avoir tant perdu, et alors même qu'elles savent qu'elles ont encore tant à perdre.
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